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Un mur entre Donald Trump et l'appareil étatique

Le président américain s'acharne à vouloir obtenir le financement d'un mur à la frontière mexicaine. Il brandit la menace d'une procédure d'urgence

Une section de la frontière renforcée entre les USA et Mexico, le 6 janvier 2019. — © Guillermo Arias/AFP
Une section de la frontière renforcée entre les USA et Mexico, le 6 janvier 2019. — © Guillermo Arias/AFP

«Je suis ravi de vous informer que je vais m'adresser à la Nation sur la crise humanitaire et de sécurité nationale à notre frontière sud», a tweeté Donald Trump lundi soir. L'intervention présidentielle est prévue mardi à 21 h (3 h en Suisse). Aucune précision n'avait été fournie sur les chaînes qui transmettront ce discours intervenant dans un climat politique très tendu.

Dans les fêtes foraines, il est possible de mesurer sa force grâce à un punching-ball électronique. Aux Etats-Unis, le président et les démocrates se livrent un jeu moins amusant: leur bras-de-fer, à propos du financement du mur entre les Etats-Unis et le Mexique, empêche l'adoption d'une loi budgétaire, prolonge le shutdown et fait de nombreuses victimesL'administration fédérale est partiellement paralysée, plus de 800 000 fonctionnaires ont leur salaire suspendu et Donald Trump, qui ne veut rien lâcher, semble n'en avoir cure.

Un mur «immoral»

Une preuve? Pas plus tard que dimanche, intransigeant, il a assuré devant l'impasse des tractations avec le Congrès que le shutdown pourrait encore «durer des mois», «voire plus d'un an». Obsédé par la sécurité nationale, Trump, qui vient d'annoncer qu'il se rendra jeudi à la frontière avec le Mexique, cherche surtout à ne pas perdre la face sur sa principale promesse de campagne. Après avoir tenté de présenter la facture au Mexique, piégé par son propre jeu, il exige du Congrès une enveloppe de 5,7 milliards de dollars pour assouvir son rêve: ériger un mur à la frontière sud afin de freiner la migration clandestine. Un mur que les démocrates jugent «immoral», inefficace et coûteux.

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Une unique concession

Son unique concession pour l'heure est le choix du matériau. Il est prêt à troquer le béton contre de l'acier. Il s'est par contre empressé de balayer une proposition pragmatique de la démocrate Nancy Pelosi, la nouvelle «speaker» de la Chambre des représentants, pour sortir de l'impasse : celle de rouvrir progressivement les administrations en attendant de régler les enjeux liés au Département de la Sécurité intérieure.

En agissant ainsi, Donald Trump met une fois de plus son attitude anti-étatique et son non respect des institutions en exergue. Partisan de la réduction du pouvoir de l'Etat, il ne cache pas avoir peu d'admiration pour les fonctionnaires. C'est lui, en prônant des économies, qui a déplumé des départements cruciaux, comme le Secrétariat d'Etat ou l'Agence pour la défense de l'environnement, pour augmenter sensiblement le budget de la Défense. Lui encore, avec son slogan «Drain the swamp», qui assure vouloir «assécher le marais» à Washington, en la nettoyant de politiciens, lobbyistes et fonctionnaires «corrompus».

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Des victimes colatérales

Ce shutdown n'est pas le plus long de l'histoire américaine, mais il est bien en passe de le devenir. En vigueur depuis le 22 décembre, il a déjà dépassé les seize jours de celui de 2013, sous Barack Obama, et se rapproche des 21 jours du shutdown de décembre 1995, sous la présidence de Bill Clinton. Trump se dit prêt à brandir l'urgence nationale pour contourner le Congrès. Il assure que 75% des Américains jugent l'immigration comme un sujet crucial, que la majorité des fonctionnaires touchés sont à 100% derrière lui et que le parti républicain le soutient sans failles. Un récent sondage Ipsos/Reuters donne une version différente: seuls 25% des 2440 sondés soutiennent l'attitude de Trump; 47% le tiennent responsable du shutdown, alors que 33% jettent la faute sur les démocrates. En attendant, alors que Trump assure agir au nom de la sécurité et pour le bien du pays, la plupart des représentants des forces de l'ordre, agents de l'immigration et autres policiers sont soit au chômage technique, soit contraints de travailler sans salaire, avec une motivation forcément toute relative.

Il n'y a pas que les fonctionnaires qui sont touchés

Surtout, ce ne sont pas que 800 000 fonctionnaires qui sont touchés. Les victimes collatérales, qui travaillent pour des fonctionnaires, sont nombreuses, avec le risque de ne pas être payées rétroactivement. Des drames se nouent: des Américains, incapables de payer leur loyer, sont menacés d'expulsion, d'autres ne reçoivent plus l'aide sociale qui leur permet de survivre. En jouant la prolongation, le président des Etats-Unis pourrait aussi compromettre sa participation au World Economic Forum de Davos, qui a lieu dans la station grisonne du 22 au 25 janvier. Mardi soir, il adressera un discours à la Nation, très attendu.

Les récentes décisions controversées, comme le retrait des troupes américaines de Syrie qui a provoqué la démission du ministre de la Défense, confirment que Trump agit toujours plus en roue libre, comme s'il était seul au monde. L'enquête du procureur Robert Mueller sur l'ingérence de Moscou dans la présidentielle de 2016 et celles du Congrès contribuent à l'enfermer davantage dans sa tour d'ivoire. Lors de sa première interview télévisée sur CBS comme «speaker», Nancy Pelosi a résumé la situation ainsi: «L'impression que nous avons de ce président est qu'il veut non seulement fermer les administrations fédérales, construire un mur mais aussi abolir le Congrès pour que la seule voix qui compte soit la sienne.» Tout est dit.