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Une ex-toxicomane milite pour la distribution de naloxone

Tracey Helton revient de loin. Ancienne toxicomane, l’Américaine a sauvé des vies en distribuant de la naloxone, un médicament qui fait office d’antidote en cas d’overdoses. Impuissant face à la crise des opioïdes qui décime le pays, Jerome Adams, le chef de la Santé publique des Etats-Unis, veut aujourd’hui la rendre plus accessible

La naloxone, c’est un peu le produit miracle, le médicament de la dernière chance. Il permet de réveiller des sujets comateux et de sauver des vies, mais ne règle en rien la crise des opioïdes.  — © Spencer Platt / AFP
La naloxone, c’est un peu le produit miracle, le médicament de la dernière chance. Il permet de réveiller des sujets comateux et de sauver des vies, mais ne règle en rien la crise des opioïdes.  — © Spencer Platt / AFP

Elle n’a pas attendu que l’administration Trump réagisse. Aux Etats-Unis, Tracey Helton est connue comme «l’héroïne de l’héroïne». Ex-toxicomane, elle est désormais abstinente depuis vingt ans et se donne pour mission d’aider ceux qui sont toujours perdus dans l’enfer de la drogue. D’une façon particulière: depuis quatre ans et demi, Tracey Helton envoie par poste de la naloxone, un médicament antidote qui permet de contrer les effets d’une overdose, aux personnes dans le besoin qui peinent à s’en procurer. C’est sa manière à elle de faire face à la crise des opioïdes qui décime les Etats-Unis.

«J’ai déjà contribué à sauver environ 312 vies de cette façon, nous confie-t-elle. Mais je sais que le chiffre est plus élevé. Régulièrement, des gens me contactent en me disant: «Vous m’avez envoyé de la naloxone il y a X années. Ces doses ont sauvé ma vie.» Certaines ont d’ailleurs été transmises ensuite à d’autres personnes, qui ne savent pas qu’elles viennent de moi.»

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Savoir comment utiliser la naloxone et en avoir à portée de main peut sauver des vies

Jerome Adams, le directeur général de la Santé publique aux Etats-Unis

Surprise, jeudi dernier. Jerome Adams, le directeur général de la Santé publique aux Etats-Unis, s’est lancé dans un véritable plaidoyer en faveur de la naloxone. Du jamais-vu. C’est particulièrement révélateur de la difficulté et de l’urgence dans lesquelles se trouvent les autorités pour lutter contre le fléau des opiacés. La dernière fois qu’un surgeon general a fait une recommandation publique remonte à 2005. C’était pour informer les femmes enceintes des risques de la consommation d’alcool. «Savoir comment utiliser la naloxone et en avoir à portée de main peut sauver des vies», souligne le médecin dans sa déclaration, alors que des campagnes de promotion du médicament – connu également sous le nom commercial de Narcan – sont très visibles dans certaines grandes villes, comme New York, où des publicités fleurissent dans le métro. Il rappelle que 115 personnes meurent chaque jour d’une overdose aux Etats-Unis. Soit une personne en moyenne toutes les 12 minutes et demie.

Jerome Adams appelle les Américains à se procurer le médicament, «déjà utilisé depuis plusieurs années par les urgentistes, souvent en première ligne face aux overdoses liées à l’héroïne ou au fentanyl, une drogue qui peut être 50 à 100 fois plus puissante que l’héroïne». Dans ses recommandations pour réduire le nombre de décès par overdose publiées en 2014, l’Organisation mondiale de la santé recommandait déjà de faciliter l’accès à la naloxone aux usagers de drogues et à leurs proches. C’est souvent à l’entourage qu’il revient de l’administrer en urgence: 77% des overdoses par opioïdes se déroulent en dehors des centres médicaux.

Le médicament de la dernière chance

La naloxone, c’est un peu le produit miracle, le médicament de la dernière chance. Il permet de réveiller des sujets comateux et de sauver des vies, mais ne règle en rien la crise des opioïdes. C’est ce qui explique que les autorités n’aient pas cherché à la promouvoir jusqu’à présent. Il s’administre par spray nasal ou injection et peut être acheté en pharmacie, sans ordonnance dans la plupart des Etats américains. Un spray peut coûter entre 120 et 150 dollars pour l’équivalent de deux doses. Tracey Helton a agi de manière illégale en envoyant des doses par courrier postal. Un acte de désobéissance civile qu’elle assume parfaitement. Même si la naloxone est devenue plus accessible, certains consommateurs préfèrent toujours passer par elle plutôt que d’aller en pharmacie et de se présenter comme toxicomanes.

De l’héroïne dans la plante des pieds

«Mon travail continue», confirme Tracey Helton. Elle obtient la naloxone par des dons, grâce à un réseau de programmes de santé publique, et stocke des boîtes chez elle. «Je ne fais pas payer pour la naloxone, assure-t-elle. Mes principaux coûts sont les frais postaux. Une grande part de mon travail est d’ailleurs d’orienter les gens vers les programmes locaux où ils peuvent s’en procurer.» Elle dénonce le fait que la naloxone reste encore difficilement accessible en dehors des grands centres urbains. «Et les groupes pharmaceutiques ne cessent d’augmenter les prix», ajoute-t-elle.

Tracey Helton sait mieux que quiconque à quel point ce médicament peut s’avérer utile. Elle est revenue de loin. Aujourd’hui mère de trois enfants, elle raconte ses problèmes d’addiction dans un livre, The Big Fix, publié en 2016. Elle est aussi apparue dans un documentaire, Black Tar Heroin (1999), où on la voit ravagée par la drogue, entourée d’amis aux allures de zombies, certains infectés par le VIH.

Tracey Helton a consommé des drogues entre 18 et 28 ans. Elle a ingurgité un opioïde pour la première fois à l’âge de 17 ans, après l’extraction d’une dent de sagesse. Quelques mois plus tard, elle s’adonnait à des mixtures alcool-cocaïne-métamphétamine-héroïne, et s’injectait parfois de l’héroïne dans la plante des pieds quand elle n’arrivait plus à trouver de veines. Elle a vécu des relations abusives et s’est prostituée pour s’acheter des doses. Tracey ne comptait plus ses abcès, ses cicatrices. Ses jambes paraissaient avoir été «jetées dans une benne à ordures et repérées par des rats», dit-elle. Elle a aussi fait plusieurs séjours en prison pour trafic de drogue. Tout ceci est désormais loin derrière elle. Mais le sevrage et l’abstinence ont été difficiles, souvent accompagnés de phases de dépression. Tracey gère aujourd’hui un programme de santé publique du côté de San Francisco et continue à aider des toxicomanes. «Les kits de naloxone n’existaient pas quand je consommais de l’héroïne, sinon j’en aurais eu avec moi», écrit-elle dans son livre.

300 000 morts depuis 1999

La crise des opioïdes, qualifiée d’«urgence nationale» par Donald Trump, résulte d’une surconsommation de médicaments antidouleur, prescrits trop généreusement par des médecins. Des substances addictives, comme l’Oxycontin, le Vicodin ou le fentanyl. Ou encore le carfentanil, 100 fois plus puissant que le fentanyl, 10 000 fois plus que la morphine. Les opioïdes servent souvent de tremplin vers la consommation d’héroïne, moins chère.

En 2016, environ deux tiers des 63 500 morts par overdose aux Etats-Unis résultaient de la consommation d’opiacés, dont l’héroïne. Depuis 1999, ce sont 300 000 Américains qui ont été tués par ces substances. Selon les estimations de l’American Society of Addiction Medecine, 2 à 3 millions d’Américains en seraient dépendants. Avec un coût annuel pour la société évalué à 78,5 milliards de dollars.

Il faut investir dans la santé publique. Réduire le taux de mortalité doit avoir la priorité sur toute autre mesure. La guerre contre la drogue a été un échec épique.

Tracey Helton

Tracey Helton est très critique envers le «plan» de Donald Trump, «qui au mieux rate sa cible, au pire est dangereux». «Nous n’avons pas besoin de durcissements sur le plan législatif», dit-elle. Une allusion à la traque aux médecins et pharmaciens abuseurs lancée par le Ministère de la justice. «Il faut en revanche investir dans la santé publique. Réduire le taux de mortalité doit avoir la priorité sur toute autre mesure. La guerre contre la drogue a été un échec épique.»

Nous l’avons recontactée depuis la recommandation du médecin Jerome Adams, qui demeure pour l’instant assez floue. Le ton de Tracey Helton a changé. Elle se dit désormais «très heureuse de ce développement récent»: «Je suis ravie de voir que nous arrivons finalement à un stade où une politique du bon sens est encouragée. Cela sauvera des vies.»

La naloxone, Tracey est d’ailleurs allée jusqu’à la tatouer sur son corps. A l’endroit où elle se faisait le plus d’injections d’héroïne.