Le président du Venezuela, Nicolas Maduro, a pris tous ses compatriotes par surprise. Il a signé dimanche un décret d’urgence économique qui prévoit le retrait de la circulation des billets de 100 bolivars dans un délai de 72 heures. La décision a eu l’effet d’un nouveau coup de tonnerre dans la tempête économique que traverse le pays depuis plusieurs années: ces coupures sont non seulement les plus grosses à disposition de la population, elles sont aussi devenues, inflation aidant, les plus répandues.

Protéger la monnaie contre les «mafias»

Le chef de l’Etat a justifié sa décision par l’existence de «mafias» qui attaqueraient la monnaie vénézuélienne «depuis la Colombie et le Brésil» avec la bénédiction des Etats-Unis. Selon le ministre de l’Intérieur Nestor Reverol, ces ennemis de la révolution auraient accaparé des quantités massives de billets de 100 bolivars pour les exporter en Colombie et, de là, pour les envoyer dans des pays comme l’Allemagne, l’Espagne et la Suisse, où elles seraient entreposées dans le plus grand succès. L’objectif ultime de la manoeuvre serait d’étouffer le système financier du Venezuela.

Lundi dernier ayant été un jour férié bancaire, le délai accordé aux particuliers pour se débarrasser de leurs coupures de 100 bolivars arrivait en principe à échéance hier (un délai légèrement prolongé pour ceux qui ont les moyens de se rendre… à la banque centrale). Les Vénézuéliens, habitués à suivre de longues files d’attente pour se procurer des biens de première nécessité, ont formé de nouvelles queues pour se débarrasser cette fois des billets incriminés en leur possession. En les déposant à la banque, quand ils étaient détenteurs de comptes, ou en les changeant contre d’autres billets, dans le cas contraire.

La décision du régime chaviste intervient dans un contexte économique particulièrement dégradé. Alors que les revenus du Venezuela sont tombés au plus bas et que les pénuries touchent désormais 80% des biens de première nécessité, l’année 2016 a connu une très forte dépréciation de la devise vénézuélienne par rapport au dollar et une inflation de l’ordre de 500%. Les autorités ont officiellement admis la gravité de la situation en annonçant une prochaine mise en circulation de nouveaux billets à la valeur nettement supérieure au maximum actuel, soit des coupures de 500, 1000, 2000, 5000, 10’000 et 20’000 bolivars.

Quels avantages?

Une telle mesure est dramatique mais elle répond rationnellement à une réalité qui ne l’est pas moins: le billet de 100 bolivars permet tout juste désormais d’acheter un bonbon et il en faut 500 pour se procurer un hamburger sans frites ni coca. Le retrait brutal annoncé dimanche paraît en revanche beaucoup moins logique. Ne serait-ce que parce qu’il présente toutes sortes d’inconvénients, notamment pour les Vénézuéliens modestes que prétend défendre la révolution chaviste. Le délai imparti empêche nombre d’habitants des campagnes de procéder dans les délais. Quant à l’absence de coupures d’une valeur supérieure à 100 bolivars, il oblige les non-titulaires de comptes à se procurer une quantité de billets plus exorbitante encore qu’auparavant. Ce qui, soit dit en passant, représente un volume peu pratique à transporter dans un pays au taux record de criminalité.

Surtout, les avantages de la manoeuvre sont tout sauf évidents. Rares sont les Vénézuéliens à croire en l’accaparement des coupures concernées par des mafias. Alors quoi? S’agit-il d’une tentative peu orthodoxe de juguler la hausse des prix? «Si tel est l’objectif, le moyen est particulièrement mal choisi, observe le journaliste Victor José Lopez. Tout le monde sait comment se combat l’inflation: en augmentant l’offre et donc en accroissant la productivité des entreprises. Mais ce régime, qui s’est ingénié depuis l’origine à affaiblir le secteur privé, ne veut pas en entendre parler.»

«Nous cherchons tous la raison d’une telle décision, renchérit Xabier Coscojuela, rédacteur en chef de la revue Tal Qual. La seule explication qui me vienne à l’esprit est que le régime chaviste souhaite distraire l’attention de ses administrés.» L’économiste et député de l’opposition José Guerra arrive aux mêmes conclusions. «L’inflation est très élevée, commente-t-il, les billets ont perdu récemment une grande partie de leur valeur, bref la situation économique est plus mauvaise que jamais. L’offensive contre les billets de 100 bolivars n’est rien d’autre que le dernier moyen trouvé par le gouvernement pour se dédouaner en désignant un autre coupable.»


Noël révolutionnaire à Caracas

Le régime chaviste a volé 3,8 millions de jouets à une société privée pour les distribuer lui-même à Noël

«Nos enfants sont sacrés, nous n’allons pas permettre qu’on les vole le jour de Noël.» C’est ainsi que le directeur de la Super-intendance vénézuélienne pour la défense des droits socio-économiques, William Contreras, a justifié il y a quelques jours l’une des dernières attaques du régime chaviste contre le secteur privé: la saisie de quelque 3,8 millions de jouets à la société Kreisel, le principal distributeur du secteur. L’entreprise ne récupérera plus ses produits: les autorités se sont engagées à les offrir pour les fêtes à des enfants pauvres.

Le gouvernement a adressé de sévères reproches à la société lésée. Elle a accusé Kreisel d’avoir stocké ses jouets depuis des mois voire des années dans le seul but de créer une pénurie au Venezuela et de pouvoir vendre ses produits le moment venu au meilleur prix. «C’est un acte criminel, parce qu’il viole les droits des enfants», a expliqué William Contreras lors d’une émission de télévision.

L’épisode n’est qu’un exemple de rétorsion parmi beaucoup d’autres en ces temps de crise économique aiguë et de chute sensible de la popularité du régime. Une armée d’agents administratifs et de militaires a été déployée dans plus de 200 magasins de Caracas, la capitale, au motif que les prix proposés auraient été gonflés de 300 à 500%. Les commerçants visés crient au populisme et à l’abus de pouvoir, en assurant que la faillite les menace à brève échéance dans ces conditions. Mais il en faut beaucoup plus pour émouvoir le très dévoué William Contreras. «Notre président ouvrier nous a ordonné de garantir des prix justes au peuple et nous sommes en train de le faire, a expliqué le fonctionnaire. Ces tueurs de l’économie ne pourront pas nous priver d’un joyeux Noël.» (E. D.)