Etats-Unis
Le président américain aime travestir les faits ou les arranger à sa façon. Errances, stratégie pour faire diversion ou provocation: analyse d’un phénomène qui entache sa crédibilité

Comment les qualifier? Imprécisions, mensonges, contre-vérités ou faits alternatifs, le fait est que le président Donald Trump et son entourage se sont distingués depuis plusieurs semaines par des énoncés des plus approximatifs, qui déclenchent aussitôt une armée de «fact checkers», activité qui a le vent en poupe aux Etats-Unis. Mais au-delà du problème de définition, le plus important est d’en mesurer l’impact. Et, surtout, d’en comprendre le but. Quand il y en a un.
Les faits erronés émanant de l’administration Trump peuvent être classés en différentes catégories. Il y a ceux qui résultent d’une incompétence, méconnaissance des dossiers ou impréparation, parfois assortis d’une mauvaise foi crasse, ceux qui s’assimilent à de véritables mensonges pour dissimuler une vérité peu glorieuse et, enfin, ceux qui ont pour but de semer la zizanie et de décontenancer l’adversaire.
L’histoire de la foule
Sean Spicer, le porte-parole de la Maison-Blanche, avait ouvert les feux avec sa phrase sur le jour de la prestation de serment de Donald Trump: «Ce fut la plus grande foule jamais vue lors d’une investiture, point barre». Totalement faux, comme le prouvent facilement des photos. Kellyanne Conway, conseillère du président américain, a enchaîné. C’est à elle que l’on doit le fameux «faits alternatifs» utilisé pour défendre l’affirmation erronée de Sean Spicer. Moquée pour son «invention», elle s’est ensuite engluée dans son faux «massacre» de Bowling Green, un dérapage dont on peut penser qu’il n’était pas intentionnel.
Ces attitudes deviennent plus problématiques lorsqu’elles viennent du président lui-même. On connaît ses tweets intempestifs rédigés sous le coup de la colère. Sanguin, narcissique, Donald Trump attaque quand il se sent contesté et touché dans son ego. Sans forcément prendre le temps de réfléchir à l’impact de ses 140 signes balancés sur son réseau social favori. Il dégaine, frappe, s’en prend autant aux médias qu’il accuse d’être des vecteurs de «fake news», qu’à des comédiens ou à ses adversaires politiques. De façon désordonnée, sans hiérarchie.
Provoquer et observer
Stratégie pour faire diversion, brouiller les pistes ou simplement faire parler de lui, Donald Trump agit souvent comme quelqu’un qui vient de dégoupiller une grenade. Il la jette au milieu d’une foule, attend qu’elle explose, et observe comment les gens réagissent. C’est sa version à lui des «ballons d’essai» très prisés des politiciens. Sauf que lui n’utilise pas forcément cette stratégie pour adapter des décisions. Donald Trump l’a encore confirmé récemment: il regrette rarement ses propos, même les plus injustes et vitriolés.
Il y a donc la «méthode grenade», qui sous-entend que des énoncés approximatifs ou faux poursuivent un but: provoquer, intimider, désarçonner. Mais il y a plus grave. Comme le récent tweet où Donald Trump attaque violemment Barack Obama en l’accusant de l’avoir mis sur écoute et le qualifie de «type mauvais et malade». Donald Trump s’est semble-t-il inspiré de Breitbart News, plateforme d’extrême droite, qui était dirigé par son conseiller stratégique, le sulfureux Steven Bannon. Les accusations ne reposent apparemment sur aucune preuve. Les patrons du FBI et de la NSA, lors de leur récente audition devant le Congrès, ont affirmé que la déclaration était fausse, tout comme la supposée implication des Britanniques. Malgré les démentis, Donald Trump maintient le cap et ne revient pas en arrière. En portant l’attention sur ce tweet, il la détourne un peu de l’affaire de l’ingérence russe pendant la présidentielle américaine.
«Quelqu’un de désintéressé par la vérité»
En janvier, Gerard Baker, rédacteur en chef du Wall Street Journal, avait expliqué, dans un éditorial, pourquoi il faisait attention à l’utilisation du mot «mensonge». Les mensonges sont intentionnels. Or pour Donald Trump, l’intention est difficile, voire impossible, à prouver. Comment juger les erreurs énoncées lors de son discours devant le Congrès? Prenons un exemple: «94 millions d’Américains sont exclus du marché du travail.» Le chiffre est juste. Mais la déclaration donne une fausse impression, car le taux de chômage (4,8%) ne concerne que 7,6 millions d’Américains. Là encore, impossible, sans tomber dans le procès d’intention, d’affirmer qu’il a cherché à grossir les traits. Tout au plus peut-on suggérer que ces approximations, intentionnelles ou non, lui rendent service.
Et c’est là que l’on vient à un point crucial pour comprendre la psychologie du personnage: Donald Trump n’aime pas la vérité. Pour Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue médicale suisse, «il ne supporte pas la réalité, parce qu’elle s’oppose à sa vision autocentrée et mégalomaniaque du monde», a-t-il écrit dans nos colonnes. Bienvenue dans le monde d’Orwell et son fameux «ministère de la vérité» de «1984».
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Et si Donald Trump ne se souciait tout simplement pas de la véracité de ses dires? Dans son essai à succès «On bullshit» (traduit par: «De l’art de dire des conneries») publié en 1986 et réédité en 2005, le philosophe Harry Frankfurt, professeur émérite à l’Université de Princeton, donne sa définition de l’adepte de «foutaises», qu’il distingue bien du menteur: c’est quelqu’un qui est désintéressé par la vérité, qui ne se soucie pas de savoir si ce qu’il avance est factuellement correct ou pas. «Il ne s’embarrasse pas de savoir si les choses qu’il dit décrivent la réalité. Il les choisit, ou les invente, pour soutenir son propos et provoquer une réaction sur son audience». Pour Harry Frankfurt, «les foutaises sont un plus grand ennemi de la vérité que les mensonges».
Des menaces plus prises au sérieux
«J’aurais tendance à dire que Trump est en permanence dans le registre des foutaises dans ses tweets, même quand ce qu’il écrit finit par se révéler être vrai», souligne au Temps le philosophe de 87 ans. «L’indifférence par rapport à la distinction entre le vrai et le faux est la caractéristique du «bullshitteur», et je crains que Trump soit concerné par cette indifférence». Une personne ne ment que si elle sait que ce qu’elle dit est faux. Or avec Donald Trump, il peut croire à ce qu’il dit sans chercher à en vérifier la véracité, si ça lui sert. Comme lorsqu’il a déclaré avoir vu des images montrant «des milliers de musulmans dansant dans les rues du New Jersey après les attentats du 11 septembre 2001».
Il ne faut pas chercher loin dans l’histoire pour retrouver des présidents américains impliqués dans des mensonges. Certains ont été lourds de conséquences: celui du président Nixon, en 1974, avec le scandale du Watergate qui l’a fait tomber; les déclarations de George W. Bush, en 2003, à propos de l’Irak, ou encore Bill Clinton, qui en pleine affaire Levinsky, en 1998, a nié avoir eu une relation sexuelle avec sa stagiaire. Le Center for Public Integrity s’est par exemple penché sur l’ensemble des déclarations publiques de George W. Bush et de son cabinet sur l’Irak, et est arrivé à un chiffre édifiant: pendant les deux ans qui ont suivi le 11 septembre 2001, au moins 935 fausses déclarations sur la menace que représentait l’Irak de Saddam Hussein auraient été prononcées.
La différence avec Donald Trump, c’est la fréquence des contre-vérités, le plus haut niveau jamais atteint. Selon le Trump-O-Meter du site Politifacts, lauréat du prix Pulitzer, 70% des déclarations du président seraient fausses. Pour s’adapter à cette nouvelle situation, plusieurs journaux ont mis en place des équipes de «fact checking». Le Washington Post propose même un système qui vérifie chaque tweet présidentiel. Quand ses erreurs sont mises en avant, Donald Trump préfère discréditer les journalistes en les accusant de fausser l’opinion. Ce sont les «êtres humains les plus malhonnêtes de la terre», avait-il déclaré devant des collaborateurs de la CIA.
Stratégie ou pas, les approximations, exagérations ou accusations non fondées du président, qui se multiplient, entachent sa crédibilité. Il finit par instiller le doute à chacune de ses déclarations. «C’est extrêmement dangereux. Les paroles d’un tel président ne suscitent pas la confiance. Cela peut compliquer la coopération avec les alliés, mais les ennemis pourraient aussi ne pas prendre les menaces au sérieux», conclut Harry Frankfurt.
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