Wall Street place ses pions autour de Donald Trump
Élection
Des anciens de Goldman Sachs ou de fonds spéculatifs sont pressentis pour occuper des postes clés dans l’administration. En contraste avec les propos tenus durant la campagne

Pendant des mois, Donald Trump s’est présenté comme le représentant de l’Amérique des travailleurs, loin des compromissions de «l’establishment» de Washington avec la finance et les lobbies. «Les gars des fonds spéculatifs s’en sont bien tirés», n’a cessé de marteler le magnat de l’immobilier devant ses supporteurs en parlant de la crise financière de 2008.
Mais, depuis son élection, il semble que «ces gars-là» aient de nouveau le vent en poupe. En témoigne l’aréopage de conseillers qui constituent l’équipe de transition du président élu, et dont certains vont former l’ossature du futur gouvernement. Selon des médias américains, certains noms pour des postes clés de l’administration Trump doivent être annoncés en tout début de semaine.
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Steven Mnuchin, depuis toujours à Wall Street
Steven Mnuchin est sans doute l’un des plus visibles actuellement. Celui que l’on présente comme le probable secrétaire au Trésor – c’est lui qui a supervisé les finances de la campagne du candidat républicain –, a fait l’essentiel de sa carrière à Wall Street. Après dix-sept ans chez Goldman Sachs, où son père était associé, ce diplômé de Yale a ensuite rejoint le secteur des fonds spéculatifs, avant de monter sa propre boutique, Dune Capital.
L’un de ses principaux faits d’armes a consisté à aider une poignée d’investisseurs comme George Soros ou John Paulson à racheter, en 2009, IndyMac, une caisse d’épargne spécialisée dans les prêts hypothécaires à risques qui venait de faire faillite après la crise des subprimes.
Placée dans un premier temps sous le contrôle du Federal Deposit Insurance Corporation, l’agence fédérale qui garantit les dépôts bancaires aux Etats-Unis, la société a été reprise par Steven Mnuchin et ses associés pour 1,5 milliard de dollars et rebaptisée OneWest Bank.
Devenue «leader des saisies sur le segment des personnes âgées», elle a été revendue cinq ans plus tard pour 3,4 milliards de dollars, après qu’elle eut expulsé des dizaines de milliers d’Américains de leur maison. La banque est également accusée de discrimination raciale, selon Bloomberg.
Autre vétéran de la crise des subprimes en plein reclassement, John Paulson. Ce patron de fonds spéculatif, qui a gagné des milliards de dollars quand le château de cartes du marché immobilier s’est effondré, a été propulsé conseiller économique de Donald Trump.
Wilbur Ross, le «roi de la faillite»
L’homme qui est pressenti pour devenir secrétaire au commerce, Wilbur Ross, est également une figure de Wall Street. A 78 ans, il est le fondateur d’un fonds d’investissement dans les entreprises non cotées (private equity), WL Ross and Co, dont la spécialité consiste à reprendre des entreprises en faillite pour les redresser.
Wilbur Ross a gagné son surnom de «roi de la faillite» en rachetant pour une bouchée de pain des fabricants d’acier, des entreprises textiles et des mines de charbon. Il les a ensuite revendues à bon prix après les avoir sévèrement restructurés en procédant, entre autres, à des milliers de licenciements.
Des méthodes qui allèrent jusqu’à faire fi de la sécurité, comme dans la mine de Sago (Virginie-Occidentale), où les salariés n’avaient pas le droit de se syndiquer. En 2005, ce site a fait l’objet de 205 infractions à la réglementation en termes de sécurité, et, en janvier 2006, une explosion a tué une douzaine de mineurs. C’est lui qui pourrait être chargé de mettre en œuvre les barrières douanières censées faire revenir les emplois industriels aux Etats-Unis.
Paul Atkins, le «Monsieur finance»
Autre candidat potentiel à ce poste: Lewis Eisenberg, ex-associé chez Goldman Sachs, qui, après vingt ans, a été poussé à la démission à la suite d’une affaire de harcèlement sexuel. De son côté, Robert Mercer, patron du fonds spéculatif Renaissance Technologies, gros donateur pour la cause des conservateurs et actuellement en délicatesse avec le fisc à propos d’un redressement portant sur plusieurs milliards, a eu le plaisir de voir sa fille Rebekah intégrer l’équipe de transition.
Elle y retrouve Paul Atkins, 58 ans, le «Monsieur finance» de cette équipe. Ce républicain, ex-membre de la Securities and Exchange Commission (SEC) de 2002 à 2008, a toujours été un farouche adversaire de la régulation financière. Il était à l’époque très critique à propos des amendes infligées aux entreprises, estimant que ces sanctions n’aboutissaient qu’à punir les actionnaires. C’est lui qui est chargé de conseiller Donald Trump sur les nominations à la Réserve fédérale (Fed, banque centrale) ou à la SEC. Il sera également à la manœuvre pour démanteler la loi Dodd-Frank sur la régulation financière, comme s’y est engagé le président élu quelques jours après son élection.
Paul Atkins est actuellement à la tête d’un cabinet, Patomak Global Partners, qui conseille les institutions financières sur la façon de s’adapter aux nouvelles normes imposées par les régulateurs du secteur.
En octobre, il a été nommé par un juge fédéral pour contrôler la Deutsche Bank sur la gestion de ses produits dérivés dans le cadre d’une sanction infligée par la CFTC, l’agence fédérale chargée de la régulation des bourses. La banque allemande est, par ailleurs, le principal prêteur de la Trump Organization, l’entreprise du milliardaire.
Les questions économiques sont chapeautées par David Malpass. Cet ancien conseiller de Ronald Reagan a été pendant quinze ans économiste en chef de la banque d’affaires Bear Stearns, qui a fait faillite en mars 2008.
En août 2007, dans une tribune parue dans le Wall Street Journal et intitulée «Ne paniquez pas à propos du marché du crédit», il écrivait: «Les marchés immobiliers et de la dette ne sont pas une si grosse part de l’économie américaine et de la création d’emplois. L’économie est robuste et va croître solidement dans les prochains mois et peut-être les prochaines années.» On connaît la suite.
Des lobbyistes? Donald Trump ne voit pas où est le problème
Les lobbyistes ont aussi la part belle dans l’équipe de Donald Trump. Comme Jeff Eisenach, qui a travaillé comme consultant chez le plus gros opérateur américain de télécommunications, Verizon, et qui est censé réfléchir à l’orientation de la Federal Communications Commission, l’autorité de régulation du secteur.
Michael Catanzaro, qui a fait du lobbying pour les entreprises parapétrolières Halliburton ou Koch Industries et gros bailleur de fonds du Parti républicain, est le principal conseiller pour les questions énergétiques. Martin Whitmer, lui, a travaillé pour la National Asphalt Pavement Association, qui regroupe les fabricants d’asphalte. Il est désormais chargé des transports et des infrastructures auprès de Donald Trump.
Quant à Michael Torrey, il a longtemps conseillé l’American Beverage Association, le lobby des fabricants de boissons, et la Crop Insurance Bureau, un assureur agricole. Sa mission sera désormais de superviser les questions… agricoles.
Le «marais» va-t-il rester fétide?
Au total, une vingtaine de lobbyistes sont à la manœuvre au sein de l’équipe de transition. Une situation que la sénatrice démocrate du Massachusetts, Elizabeth Warren, a dénoncée dans une lettre datée du 15 novembre et adressée à Donald Trump. «Vous aviez promis que vous ne seriez pas aux mains «des donateurs, des intérêts particuliers et des lobbyistes qui ont corrompu nos politiques depuis déjà trop longtemps» et que vous alliez «assécher le marais» à Washington», rappelle-t-elle, constatant qu’il était «déjà en train d’échouer» en nommant «une kyrielle de banquiers de Wall Street, d’initiés de l’industrie et des lobbyistes au sein de [son] équipe de transition».
Elizabeth Warren, qui souligne que «72% des Américains, démocrates comme républicains, pensent que «l’économie américaine est truquée au bénéfice des riches et des puissants», appelle le président élu à exclure ces personnes de son équipe.
Donald Trump, lui, ne voit pas où est le problème. Lors d’une interview accordée le 13 novembre à la chaîne de télévision CBS, le milliardaire a expliqué qu’il était difficile de trouver des gens pour travailler avec le gouvernement sans qu’ils aient des liens avec les lobbys, estimant que Washington était, «dans sa totalité», un «énorme lobby». Reste à savoir si ses électeurs seront convaincus par cette réponse.