Estrada, le «bouc émissaire idéal»
Mais il y a plus. «Il est certain que ces officiers sont mécontents de l'état des choses au sein des forces armées. Mais il est aussi certain que des gens avec une visée politique les ont instrumentalisés», affirme Sheila Coronel, directrice du Centre philippin de journalisme d'investigation. Dans les jours qui ont suivi le «coup», des raids ont été lancés sur des maisons de proches conseillers de l'ancien président Estrada; des armes et des brassards similaires à ceux portés par les putschistes ont été trouvés. Dès que la révolte a été connue, Joseph Estrada, détenu dans un hôpital pour vétérans militaires en attendant son procès pour corruption, a été déplacé dans une prison par peur que les rebelles ne viennent le libérer.
Joseph Estrada a assuré n'être pas impliqué dans le putsch. Aurait-il voulu prendre sa revanche contre Gloria Arroyo qui l'avait évincé du pouvoir avec l'appui de l'armée et de l'Eglise à l'occasion d'une révolte des classes moyennes manillaises en janvier 2001? Possible, mais ici rien n'est simple. «Estrada est juste le bouc émissaire idéal, car il ne peut pas contre-attaquer. Mais les politiciens et les généraux qui sont derrière les rebelles ne sont pas révélés au public», commente Nelson Navarro, éditorialiste politique.
A l'approche de la présidentielle de l'an prochain, les différents protagonistes se positionnent. Un complexe jeu de manipulations est engagé. Le sénateur Panfilo Lacson, par exemple, ancien chef de la police avec une réputation de justicier à la gâchette facile, peut s'appuyer sur une faction militaire qui lui est dévouée, comme le peut aussi l'ancien président Fidel Ramos, officiellement mentor d'Arroyo mais dont les ambitions politiques ne sont pas éteintes.
De tous ces protagonistes, Joseph Estrada est le plus gênant car l'ancien acteur demeure très populaire. Davantage, disent certains, que la présidente Arroyo qui tente de compenser par ses entrées à la Maison-Blanche son manque de soutien domestique. La caution des Etats-Unis, ancienne puissance coloniale, reste indispensable pour qu'un clan politique puisse accéder au pouvoir à Manille. Mais, comme le souligne Nelson Navarro, «les Etats-Unis se sont bien gardés de mettre tous leurs œufs dans le panier d'Arroyo».
* «In the presence of my enemies», Gracia Burnham et Dean Merrill, mai 2003.