Après la reconquête, le régime syrien veut reconstruire Palmyre
Syrie
Damas estime que la plupart des ruines antiques de Palmyre sont en bon état. Les monuments détruits par l’Etat islamique pourraient être reconstruits en cinq ans. Les archéologues internationaux sont beaucoup plus sceptiques

A peine Palmyre reconquise que le régime syrien parle déjà de reconstruire le site antique en partie détruit par les djihadistes de l’Etat islamique (EI). Lundi, au lendemain de la reprise de la ville, au cœur du désert, Maamoun Abdelkarim, le chef des Antiquités et des Musées de Syrie qui dépend du régime de Damas, déclarait qu’il faudrait cinq ans pour réhabiliter les monuments détruits ou endommagés par l’EI. Les archéologues étrangers, eux, sont beaucoup plus prudents.
Maamoun Abdelkarim estime que «80% des ruines antiques sont en bon état». La ville moderne, dévastée par les bombardements, a été désertée par ses habitants. «Mes collègues sont arrivés lundi à Palmyre et je leur ai demandé de procéder à une évaluation de l’état des pierres et de la vieille ville. Ils photographient et documentent les dommages, et ensuite la restauration pourra commencer», a expliqué le directeur des antiquités.
Théâtre toujours debout
Chargé de cours à l’université de Genève, Denis Genequand est l’un des derniers archéologues étrangers à avoir pu se rendre à Palmyre. C’était en 2011 au début des troubles en Syrie. Il a effectué des fouilles sur un site non loin du théâtre romain, qui a servi de lieu d’exécution pendant le règne de l’EI. Mais le théâtre est toujours debout. «Les premières photos confirment l’ampleur de la destruction de plusieurs monuments emblématiques mais le reste du site semble avoir été relativement épargné», estime-t-il.
Après leur conquête de Palmyre, les djihadistes avaient dynamité l’imposant temple de Bêl, celui plus petit de Baalshamin, l’arc du triomphe qui ouvre sur la longue avenue de colonnades ainsi que plusieurs tours funéraires à l’extérieur de la ville. Autant de monuments considérés comme impies. Ces destructions mises en scène par la propagande de l’EI avaient ensuite été confirmées par des images satellite. La forteresse du XIIIe siècle, une position stratégique qui domine Palmyre, a été fortement endommagée par les combats acharnés.
#Syrie photos citadelle de #Palmyre reprise par l'armée en ce moment bombardement massif artillerie & aviation russe pic.twitter.com/5yoQueGbmw
— Wassim Nasr (@SimNasr) March 26, 2016
«Il ne sera pas aisé de reconstruire les ruines romaines, car certains blocs de pierre ont été fracturés par les explosions, continue Denis Genequand. D’un point de vue archéologique, on peut se demander s’il est opportun de reconstituer artificiellement des monuments détruits.» Interrogée par l’AFP, Anne Sartre-Fauriat, membre du groupe d’experts de l’Unesco pour le patrimoine syrien, est tout aussi sceptique: «Quand j’entends dire qu’on va reconstruire le temple de Bêl, ça me paraît illusoire. On ne va pas reconstruire quelque chose qui est à l’état de gravats et de poussière. Construire quoi? un temple neuf? Il y aura peut-être d’autres priorités en Syrie avant de reconstruire des ruines».
Mais les principaux obstacles sont d’ordre politiques. Il faudra que la communauté internationale finance massivement la reconstruction de Palmyre, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Damas a déjà appelé l’Unesco à apporter son soutien à la Syrie. La directrice de l’organisation, Irina Bokova, s’est félicitée de la reprise de Palmyre. La Bulgare s’est aussi entretenue dimanche au téléphone avec le président russe Vladimir Poutine, sans le soutien duquel la reconquête de la ville aurait été inimaginable. Ces derniers jours, l’aviation russe a multiplié les frappes pour déloger les djihadistes, qui avaient pris la ville sans coup férir il y a près d’une année. Le président Poutine a vanté le savoir-faire russe pour reconstituer des bâtiments historiques.
L’Unesco veut envoyer dès que possible une mission sur place pour évaluer les dégâts. «Mais je doute que l’organisation débloque rapidement les énormes fonds nécessaires alors que la Syrie est toujours en pleine guerre civile», avance Denis Genequand. «Tant que l’armée syrienne est dans le site de Palmyre, je ne suis pas rassurée, il ne faut pas oublier que l’armée, qui occupait le site entre 2012 et 2015 a fait beaucoup de dégâts et de pillages», renchérit Anne Sartre-Fauriat.
Contrebande
Personne ne sait combien de pièces ont disparu à Palmyre. Les images les plus impressionnantes diffusées depuis dimanche montrent le musée. Les salles d’exposition ont été dévastées, les sculptures renversées et fracturées. Certaines œuvres avaient pu être évacuées par camion vers Damas juste avant l’arrivée des djihadistes. «Les sous-sols du musée regorgent aussi de pièces et on ignore totalement ce qu’il est advenu d’elles», explique Denis Genequand. Les trésors de Palmyre réapparaîtront peut-être sur le marché de l’art. «Mais pas avant quelques années», pronostique le spécialiste. Le temps que les choses se tassent.