Le jour s’est levé sur une campagne blanchie par la brume. Des vaches broutaient dans des champs s’étendant à perte de vue parmi des maisons de pierres concentrées dans les creux des collines. Le jour s’est levé et on a veillé toute la nuit. Deux heures de sommeil qu’on tente de compléter couché en travers sur le siège du TGV Lyria. 

Il y a ce tunnel où tout le réseau disparaît. Plus d'actualité, plus de fil des événements, plus d’articles revenant sur la longue nuit passée. Et il y a cette arrivée à Paris, Gare de Lyon.

Il est 10h. Le couple descend du TGV. Regards de part et d’autre, remarques, chuchotements. «D’habitude, il y a du bruit. Là, ça résonne. Tout le monde semble endormi», remarque le voyageur. Ils ne font que de passer, ce soir, il prendront l’avion. Mais ils avouent qu’il leur a fallu du courage pour se décider à tout de même passer par la capitale. La jeune femme est fatiguée. Elle a peu dormi: «J’ai décidé de ne plus regarder les journaux ni les réseaux sociaux pour ne pas entretenir l’angoisse.»

La gare est silencieuse. Les gens attroupés sous les panneaux des horaires restent figés. Perplexes, immobiles. Pourtant tous les trains affichent être à l’heure. Aucune annulation en vue. Ces voyageurs, là, partent dans le Var. Se sentent-il en sécurité ici dans ce hall de gare? C’est la femme qui répond: « Oui! Ici c’est toujours surveillé. On ne va pas s’arrêter de vivre à cause de ces folies. D’ailleurs au café, juste avant, je me disait que rien n’avait changé. Tout est revenu à la normale.»

Plus loin, un jeune couple se prend en selfie sous le panneau horaire. Des cernes sous les yeux, le maquillage qui a coulé. Derrière eux, quatre militaires traversent le hall casqués, en treillis armes à la main. Le «sécurité» à côté est là lui depuis 6 heures matin. «Comme tous les jours.» Il n’a pas reçu d’ordre particulier. «Juste être professionnel. Si je trouve un sac orphelin je le signale. Si je vois un suspect je le dénonce. » De quoi ont l’air les suspects? «On ne sait pas». Leur troupe n’a pas été renforcée, celle des policiers aurait été doublée ce matin. Ils sont en discussion au fond du hall d’entrée. Ils ne diront rien. «Allez voir la Préfecture!»

Sous une affiche publicitaire pour une boisson pétillante au slogan «Shake the world», ces deux personnes âgées attendent leur train, la main serrée sur la poignée de leur valise. «Des attentats? Oh vous savez par les temps qui courent, il faut bien s’y faire… Cette nuit? On dort, nous! » Silence. 

Il n’ont pas internet, ils n’ont pas de smartphone et il n’ont pas vu ces Unes de journaux non plus. L’une d’entre elle affiche un fond noir sur lequel est écrit en lettres blanches un mot: L’Horreur.

Une famille achète tous les journaux. Madame porte un drapeau français enroulé sous le bras. Les quotidiens serrés dans sa paume Monsieur précise. «Nous étions au Stade de France hier! …» On s’interroge: Et? «Nous avons pu rentrer à l’hôtel à deux heures. Le match s’est terminé et le quartier était bouclé.» Sa femme prend la parole: «Il y a eu trois explosions! Trois.» Elle cite: «Une au Quick, une à la brasserie Leavents et une autre vers la porte H.» Monsieur a pensé que c’était un tir de mortier, un feu d’artifice ou des grenades assourdissantes pour disperser des casseurs. Il dit qu’il a fait l’armée en France, qu’il reconnaît ces bruits. Ici à la gare, il se sent en sécurité et il précise: «Ailleurs aussi d’ailleurs!» Sa femme reprend: «Mais on est content de rentrer en Suisse! Loin! Zou!». Alors Monsieur lève le poing, il n’est pas d’accord avec sa moitié: «Je suis Français moi et je ne dis pas Loin Zou! J’affiche mon drapeau! Et je résisterai!» Ils partent.

A l’entrée de la gare, au pied d’un militaire des couronnes de fleurs ont été entreposées. Une petite fille s’en approche en courant. Elle s’agenouille et ramasse les pétales un à un. Sa mère l’arrête: «Ne touche pas à ça, ce sont des fleurs d’adultes.»