Potentiel de violence
Cloîtrées à la maison, de nombreuses Afghanes découvrent la nouvelle réalité à travers les vidéos circulant sur les réseaux sociaux. L’une d’entre elles montre des femmes défiler pour leur droit de retourner au travail. La scène se déroule sans incident. D’autres enregistrements montrent pourtant le potentiel de violence à l’œuvre. Mercredi à Jalalabad, des manifestants ont brandi le drapeau national noir-rouge-vert qu’ils préfèrent à celui, blanc, des nouveaux maîtres du pays. Des tirs y ont fait au moins trois morts.
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Les rues de Kaboul témoignaient mercredi d’un calme précaire. Certains marchés ont rouvert, le trafic reprend, mais la plupart des magasins demeurent fermés. Les piétons sont réapparus, hommes et femmes. Certains ont opté pour un habillement des plus rigoureux, d’autres s’accrochent à une tenue moins austère. Ils déambulent sous le regard de combattants moins nombreux qu’en début de semaine. Mais leur drapeau blanc, accroché aux voitures comme aux vélos, rappelle partout qui contrôle désormais la capitale.
Beaucoup s’interrogent: que va-t-il se passer après la fin des évacuations d’Occidentaux et le départ des derniers soldats américains? Malgré toutes les promesses des talibans, dont la constitution d’un gouvernement inclusif, chacun sait que la vie ne sera plus la même.
Pour l’instant, si on est honnête, la prise de pouvoir des talibans va faire baisser le taux de criminalité et le nombre d’attentats, mais ce sera un désastre pour les filles.
Sahara Askeri, activiste des droits humains, cherche un laissez-passer pour entrer à l’aéroport et s’enfuir. «On m’a dit qu’on les distribuait, mais ce n’est pas le cas.» Partout, des barrages filtrants installés par les conquérants rendent l’accès au dernier périmètre sous contrôle occidental de plus en plus difficile.
La femme de 21 ans ne sait pas de quoi son avenir sera fait. «Pour l’instant, si on est honnête, la prise de pouvoir des talibans va faire baisser le taux de criminalité et le nombre d’attentats, mais ce sera un désastre pour les filles.» Certains, comme le jeune Mujib Rahman, s’en accommodent pourtant: «Avant, j’avais vraiment peur de sortir dans la rue. Kaboul était une ville dangereuse, avec des attentats, des explosions et des voleurs qui m’épouvantaient. Maintenant, je me sens à l’aise avec l’arrivée des talibans.»
Rumeurs terrifiantes
Pour ceux-ci, la lutte contre la criminalité est une carte maîtresse dans une ville de plus de 5 millions d’habitants où l’insécurité était jusqu’ici omniprésente. Alors que la crise économique et la famine poussaient parfois à tuer pour une bouchée de pain, que les assassinats de responsables politiques et de simples citoyens se succédaient, que les explosions pouvaient survenir à tout moment, le mouvement capitalise sur son image intransigeante. Il sait qu’il peut ainsi instaurer une apparence d’ordre dans le chaos de Kaboul.
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Mais sortir de chez soi demeure très risqué pour les femmes. Beaucoup d’entre elles se méfient du calme apparent de la capitale. Des provinces affluent des rumeurs terrifiantes: des femmes et des filles arrachées à leur famille et mariées de force, des arrestations et des disparitions, toutes sortes d’exactions. Une vidéo montre des civils rassemblés devant le stade de Kandahar pour assister à des exécutions. Une autre révèle des gens frappés au sol par des combattants talibans. Certains auraient travaillé comme interprètes pour les Occidentaux. A Jalalabad et à Kaboul, des journalistes ont été roués de coups. A Mazar-i-Sharif, une jeune fille aurait été assassinée.
Après sa première sortie en ville, Mina Howaida n’est pourtant pas prête à vivre emmurée. Plusieurs des consœurs de la journaliste continuent de prendre l’antenne. En début de semaine, sur la chaîne Tolonews, l’une d’entre elles a même interviewé à la stupéfaction générale un représentant des talibans. «Je veux continuer à exercer ma profession, être un symbole pour les filles qui restent à la maison et la majorité des gens qui gardent le silence, lance Mina. On verra bien si les talibans nous laissent faire.»
Collaboration: Qarib Rahman Shahab (Kaboul) et Marc Allgöwer