«Il ne peut y avoir aucun compromis en matière de droits de l’homme et de dignité humaine. […] Les Philippins sont un peuple très spirituel.» Par un discours qui n’a pas manqué de surprendre, le sénateur philippin Alan Peter Cayetano ne s’est pas embarrassé des critiques internationales. Lors de l’examen périodique universel (évaluation par les pairs) auquel son pays était soumis lundi devant le Conseil des droits de l’homme (CDH), il a justifié la campagne contre les trafiquants et consommateurs de drogue menée par son président Rodrigo Duterte: «La campagne du peuple contre les drogues illégales est menée afin de préserver la vie des Philippins et d’éviter que le pays ne se transforme en un Etat du narco-trafic.»

Une «boucherie»

Proche de Rodrigo Duterte, Menardo Guevarra, vice-secrétaire exécutif pour les affaires légales, a même lâché quelques chiffres: «Les Philippines sont confrontées à un très sérieux problème de drogue. 47% de ses petits villages […] sont touchés par le fléau. Il y a quatre millions de consommateurs de drogue dans le pays et plusieurs cartels transnationaux de la drogue opèrent aux Philippines.» La délégation philippine n’a lésiné sur aucun moyen pour faire entendre sa voix. Elle a présenté à la salle une vidéo du président Duterte, 72 ans, qui appelle à mettre «les barons de la drogue […] sous terre». Une menace qui est à l’aune des propos peu amènes qu’il a l’habitude de tenir. Il avait traité Barack Obama de «fils de pute».

La majorité des 109 pays qui se sont exprimés devant le CDH ne sont pourtant pas dupes. La guerre contre la drogue de Duterte est qualifiée de «boucherie». Elle a déjà fait plus de 7000 morts, estiment plusieurs organisations de défense des droits de l’homme. Selon Human Rights Watch, les exécutions extrajudiciaires orchestrées par Manille pourraient être qualifiées de crime contre l’humanité. Mais là aussi, le président philippin, intronisé le 30 juin dernier, a la réplique: «Les criminels n’ont pas d’humanité. Les tuer ne constitue dès lors pas un crime.» Lundi, plusieurs Etats ont exhorté le pouvoir philippin à mener des enquêtes sur les auteurs de ces massacres. La Suisse recommande à Manille de «mener des enquêtes impartiales immédiates et efficaces dans tous les cas présumés d’exécutions extrajudiciaires ou sommaires».

Les critiques émises par le Conseil des droits de l’homme à l’encontre de Manille ont toutefois peu de chance d’infléchir la politique de Rodrigo Duterte. Ce dernier ne s’est pas créé une réputation de dirigeant sanguinaire à la seule présidence des Philippines. Maire de Davao pendant plus de vingt ans, il est accusé d’avoir mis sur pied des escadrons de la mort pour combattre les trafiquants de drogue et les criminels. Selon The Guardian, sa promesse de campagne électorale en 2016 était de tuer tous les consommateurs et trafiquants et de jeter leurs corps dans la baie de Manille «pour nourrir les poissons». Face à un tel déni, John Fisher, directeur du bureau genevois de Human Rights Watch appelle à «reconsidérer» l’appartenance des Philippines au Conseil des droits de l’homme si les exécutions extrajudiciaires se poursuivent.

Nettoyage social

Venu à Genève pour expliquer le cas philippin, Budit Carlos, de l’Alliance philippine pour les défenseurs des droits humains est catégorique: «La plupart des victimes (de la guerre contre la drogue) proviennent des zones les plus pauvres. Nous assistons à une crise des droits de l’homme qui déshumanise et qui s’apparente à un nettoyage social. En termes de chiffres, je suis plus alarmiste. Il y aurait entre 8000 et 12 000 morts.» Le problème, ajoute Budit Carlos, c’est que cette politique équivaut à donner aux milices privées (vigilantes) le droit de tuer. «On a institutionnalisé les exécutions extrajudiciaires et l’impunité qui va avec». Récemment, dans une prison secrète d’un poste de police dans le district de Tondo à Manille, des dizaines de personnes soupçonnées d’avoir trafiqué ou consommé de la drogue croupissaient dans des conditions inhumaines. Elles ont été torturées par des policiers qui leur auraient demandé des sommes allant jusqu’à 4000 dollars pour retrouver la liberté.

Rien ne semble pourtant arrêter Rodrigo Duterte, qui sera reçu au Etats-Unis par Donald Trump en novembre prochain. Il pousse le Congrès philippin à réintroduire la peine de mort et à baisser l’âge de la responsabilité pénale de quinze à neuf ans. Pour la Suisse, c’est une ligne rouge. Berne appelle les Philippines à «ne réintroduire la peine de mort en aucun cas».