Guoanbu, la puissance du renseignement chinois
Espionnage
Les pirates informatiques chinois reviennent dans le viseur de Washington. Gros plan sur le Ministère de la sécurité de l’Etat, un puissant service de renseignement utilisé par Pékin pour assouvir ses ambitions de superpuissance

Alors qu’en coulisses Washington et Pékin sont en pleines tractations sur fond de guerre commerciale, un acteur occupe le devant de la scène depuis quelques semaines: le Ministère de la sécurité de l’Etat (MSE), l’un des services de renseignement chinois.
Le 1er décembre, le jour même où Donald Trump dînait avec Xi Jinping à Buenos Aires en marge du G20, est survenue l’arrestation à Vancouver de Meng Wanzhou, directrice financière d’Huawei. Dans le but d’alimenter les suspicions de collusion de ce fleuron des télécoms chinois avec le régime communiste, les Etats-Unis n’ont de cesse, depuis, de rappeler l’appartenance passée de son fondateur à l’Armée de libération du peuple et celle, prétendue, de la présidente du groupe, Sun Yafang, au MSE.
C’est encore le MSE, ou Guoanbu en chinois, qui tient le premier rôle dans la détention de deux Canadiens en Chine depuis mi-décembre. Son ombre apparaît à nouveau le 20 décembre, quand les Etats-Unis inculpent deux prétendus pirates informatiques chinois. Zhu Hua et Zhang Shilong appartiendraient selon la justice américaine à un groupe qui opère depuis la Chine «en association avec le Ministère chinois de la sécurité de l’Etat» et qui aurait pillé entre 2006 et 2018 des données confidentielles et des secrets industriels à des dizaines d’entreprises dans 12 pays.
Les apparitions récurrentes du MSE, soigneusement orchestrées de part et d’autre au gré des tensions, soulignent le rôle majeur qu’il joue dans la quête chinoise de domination technologique et économique. Quand en 1983 il est créé sous l’impulsion de Deng Xiaoping connu pour ses grandes réformes d’ouverture du pays, le Guoanbu succède à une police de régime éclatée en de multiples services en région. Trente-cinq ans plus tard, il est présenté comme l’un des organes de renseignement parmi les plus puissants et travaille en coordination avec d’autres services civils et militaires chinois.
Le Guoanbu compterait dans ses rangs quelque 7000 fonctionnaires et plusieurs dizaines de milliers d’agents illégaux – les «chen diyu», poissons d’eau profonde – implantés aux quatre coins de la Chine et du monde. Divisé en 18 bureaux, le MSE gère le renseignement extérieur. Il veille également à ce que Taïwan, Hongkong mais aussi les autonomistes tibétains, les activistes ouïgours du Xinjiang ou encore les dissidents et les défenseurs des droits de l’homme ne passent pas sous ses radars. Charge à lui également de scruter l’opinion publique et les différents secteurs de la société chinoise.
Renseignements économiques, industriels et technologiques mais aussi politiques, ses cibles sont larges et ne se limiteraient pas aux informations confidentielles ou classées secret-défense. Le MSE semble appliquer à la lettre le précepte du légendaire stratège chinois Sun Tzu: «Ayez des espions partout, soyez instruits, ne négligez rien de ce que vous pourrez apprendre.»
Pour ce faire, le MSE s’appuie sur d’importants moyens d’interception des communications et multiplierait depuis les années 2000 les «infiltrations douces» à l’étranger, via notamment des écoles d’ingénieurs ou d’électriciens et des entreprises lambda visant des membres de la diaspora chinoise mais pas seulement. Il aurait aussi fait tomber dans ses mailles des agents de la CIA ou de la DGSE (Service de renseignement extérieur français) et mené des opérations plus agressives de grande envergure pour draguer des milliers de recrues via les réseaux sociaux professionnels du type LinkedIn.
C’est surtout pour ses cyberattaques supposées que le MSE est redouté. Début décembre, la presse américaine lui a ainsi imputé le spectaculaire vol des données de 500 millions de comptes des hôtels Marriott, prestataires hôteliers privilégiés des fonctionnaires des organisations gouvernementales et militaires américaines. Un siphonnage massif de données qui fait suite à celui des bases de données du groupe d’assurance Anthem ou des données RH de l’administration fédérale.
Des «hackeurs patriotes» et des industriels ou criminels indépendants opèrent aussi en parallèle des agents du MSE, ce qui rend difficile de distinguer les activités des cyberacteurs chinois officiels et non officiels, de même que la manière dont ces groupes interagissent les uns avec les autres.
L’une des certitudes concernant le MSE est qu’en Chine, gouvernement, milliardaires, universitaires, citoyens et entrepreneurs travaillent ensemble, en partie parce que l’Etat exerce un contrôle drastique sur leur vie. Même les géants du secteur privé tels qu’Alibaba, Tencent ou Huawei se trouvent sous pression, l’Etat-Parti jouant un rôle fondamental pour favoriser, ou entraver, le succès des entreprises, exigeant un droit de regard accru sur leurs activités.
De récentes lois sur la sécurité nationale ont conféré des pouvoirs sans précédent au Guoanbu. La loi sur le renseignement de 2017 oblige ainsi les entreprises et les citoyens à «coopérer, soutenir ou assister les institutions nationales du renseignement». En d’autres termes, ils doivent collaborer dans d’éventuelles opérations d’espionnage. Une journée par an, le 15 avril, est même destinée depuis 2016 à sensibiliser les citoyens aux questions d’espionnage et à les encourager à signaler toute activité suspecte.
La loi impose par ailleurs aux opérateurs d’infrastructures dites «critiques» de stocker en Chine les données personnelles de leurs utilisateurs et de faire contrôler leur matériel informatique. Les opérateurs télécoms et informatiques ont une obligation de coopération avec les agences de sécurité. C’est dans ce décor que la Chine et les Etats-Unis doivent négocier l’ouverture du marché chinois aux produits étrangers et gérer l’épineuse question des transferts forcés de propriétés intellectuelles.