A Hongkong, arrestation d’un patron de presse contestataire
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Le groupe de presse de Jimmy Lai, ouvertement critique à l’encontre du régime central, a été perquisitionné au nom de la récente loi controversée sur la sécurité nationale

Le cours de l'action du groupe de presse hongkongais Next Digital a été multiplié par neuf depuis l'arrestation lundi de son patron Jimmy Lai, les habitants cherchant par tous les moyens à soutenir cette figure du camp prodémocratie. Le titre de Next Digital, maison mère de l'Apple Daily, un tabloïd notoirement critique de Pékin, progressait mardi en séance de 214% à 0,80 dollar hongkongais, ce qui signifie que l'action est en hausse de 788% depuis l'arrestation de Jimmy Lai lundi matin.
«Hongkong était le dernier miracle de la Chine. L’imposition de la loi de sécurité nationale en marque la fin», tweetait fin mai Jimmy Lai, qui venait à 71 ans de créer son compte dans le seul but de dénoncer auprès d’un plus large public le texte que Pékin s’apprêtait à imposer dans l’archipel. Le milliardaire autodidacte et farouche opposant au régime communiste ne comptait déjà plus alors les arrestations. Celle de lundi pourrait cependant lui valoir la perpétuité, voire la peine de mort s’il est jugé sur en Chine continentale.
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Le magnat des médias est le premier poids lourd du camp pro-démocratie à tomber depuis la promulgation fin juin de la loi sécuritaire. Celui que la presse chinoise taxe d’«instigateur des émeutes» de 2019, d’«agent de la CIA» et de «traître moderne» – pour avoir notamment rencontré le vice-président américain Mike Pence à Washington au début de la révolte politique – a été interpellé et menotté à son domicile lundi matin. Il est soupçonné de «collusion avec des forces étrangères» et de fraude. Huit autres personnes, dont ses deux fils et des membres de la direction d’Apple Daily (titre phare du groupe), ont été arrêtées dans le cadre de cette enquête pour atteinte à la loi de sécurité nationale.
Assaut direct contre la liberté de la presse
Jimmy Lai a ensuite été mené au siège de Next Digital à Lohas Park, dans l’est du territoire, où un impressionnant raid a visé la rédaction d’Apple Daily, deuxième titre le plus lu à Hongkong. Des dizaines de policiers en uniforme ont investi les locaux, tenant à distance les rares journalistes présents qui tentaient de filmer les officiers fouillant notamment des bureaux de rédacteurs.
«Ces arrestations et cette descente de police dans une rédaction sont un assaut direct contre la liberté de la presse et signalent une nouvelle page sombre dans l’érosion de la réputation mondiale de la ville», a réagi le club des correspondants étrangers (FCC), déplorant par ailleurs que la police ait filtré les médias pouvant assister à sa conférence de presse. «Pénaliser un média, un éditeur ou un journaliste uniquement pour avoir critiqué le gouvernement ou les politiques qu’il promeut est une restriction du droit à la liberté d’expression qui ne peut jamais être justifiée», a regretté pour sa part Amnesty International.
Un symbole fort
Ces arrestations sont un symbole fort, car Next Digital est l’un des rares groupes de presse à Hongkong à encore critiquer le régime chinois et à avoir soutenu les manifestations pro-démocratie monstres de 2014 et 2019. Le groupe a été fondé en 1990 par Jimmy Lai, homme d’affaires longtemps resté en dehors de la politique mais que la tragédie de Tiananmen en 1989 a fait basculer dans la dissidence.
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Né en 1948 quelques mois avant l’instauration de la République populaire de Chine, ce fils d’une famille de Canton (sud de la Chine) est débarqué clandestinement à 12 ans sur la côte hongkongaise, alors colonie britannique. Il vit de petits emplois avant de fonder à 33 ans une entreprise de textile. Avec la marque Giordano et ses 1700 magasins à travers le monde, il se fait un nom et une fortune. Mais son nouveau costume de tycoon ne l’empêche pas de tirer à boulets rouges sur la «dictature» du Parti communiste chinois. Ses salves contre le régime central lui ont valu d’être désigné comme l’une des têtes de Turc de la presse chinoise. Le magnat savait ses jours d’homme libre comptés depuis le 30 juin.
Sous surveillance
Depuis cette date, la région administrative spéciale est non plus seulement régie par la mini-Constitution locale qui garantit depuis 1997 des libertés inconnues dans le reste du pays, mais aussi par la loi de sécurité nationale, qui autorise Pékin à intervenir en cas d’actes de terrorisme, de sécession, de sédition ou de collusion avec des pays étrangers. Or, «sur le continent, la vaste majorité des 115 journalistes actuellement détenus ont été arrêtés ou condamnés sur la base d’accusations de même nature», relève Reporters sans frontières (RSF).
Au cours des cinq années écoulées depuis que Xi Jinping est devenu secrétaire général du parti, la liberté de la presse en Chine a régressé, la surveillance s’est accrue sur des journalistes, qui doivent désormais parfois prêter allégeance au régime et se soumettre à des tests de connaissance sur la pensée du président Xi. Les correspondants étrangers sont, eux, passibles d’expulsion, comme cela a été le cas en février de trois journalistes du Wall Street Journal, accusés d’avoir «calomnié le peuple chinois» en pleine épidémie.
Escalade des tensions
Par ricochet, Hongkong, longtemps référence en Asie et bastion de la liberté de la presse, a chuté du 18e rang en 2002 au 80e rang en 2020 dans le classement établi par RSF, la Chine stagnant au 177e rang sur 180. «C’est peu de dire que le «rêve chinois» de Xi Jinping est devenu le cauchemar pour les journalistes de Hongkong», critique l’association des journalistes de Hongkong, évoquant une autocensure rampante liée aux pressions économiques, des entraves et violences de plus en plus fréquentes depuis 2019 et, dans le même temps, une communication accrue des autorités locales qui s’apparente à de la «propagande».
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Les arrestations de lundi s’inscrivent par ailleurs dans un climat d’escalade des tensions entre les Etats-Unis et la Chine. D’inhabituels retards dans la délivrance de visas à des journalistes étrangers à Hongkong font notamment craindre au FCC que ces visas ne deviennent une «arme» diplomatique entre les deux puissances, au détriment de la liberté d’informer.