Inde
L’annonce vendredi de la condamnation de Gurmeet Ram Rahim Singh a déclenché la furie de ses disciples, causant la mort de 38 personnes. Personnage sulfureux, celui que l’on surnomme le «gourou bling bling» et qui est à la tête d’une fortune colossale devrait connaître la sentence du tribunal ce lundi

Adulés et puissants, les gourous populaires jouissent d’une place exceptionnelle dans la société indienne. Quand l’un d’entre eux est mis en cause, il n’est pas rare de voir surgir une armée de fidèles en colère. Mais à l’annonce vendredi dernier de la condamnation pour viol du gourou Gurmeet Ram Rahim Singh, les protestations des partisans contre les forces de l’ordre ont tourné aux émeutes.
Au moins 38 personnes sont mortes. Des milliers de policiers et de paramilitaires ont été déployés dans la ville de Panchkula ainsi qu’au siège de la secte, à Sirsa, dans l’Etat de l’Haryana. Dans sa chute, le gourou excentrique et richissime âgé de 50 ans a soulevé l’hystérie collective.
Et son aura auprès de ses partisans n’a pas été modérée par la gravité des faits qui l’ont condamné: le viol de deux femmes. La fureur de ses disciples scandalise l’opinion, dans une Inde qui tente actuellement de combattre la «culture du viol». «Quand un violeur n’est pas condamné par la justice, nous organisons des marches et allumons des bougies, mais quand il est condamné, nous brûlons des villes…» ironise Aman, un habitant de Delhi, pointant un paradoxe repris sur les réseaux sociaux.
Meurtre et castrations en séries
Outre sa condamnation pour viol, le gourou controversé est poursuivi pour le meurtre d’un journaliste en 2002. Il est également accusé d’avoir influencé la castration de 400 disciples qui croyaient ainsi se rapprocher de Dieu… «De telles accusations me perturbent alors que je m’efforce de faire le bien pour l’humanité», avait nié à l’époque Gurmeet Ram Rahim Singh.
Ses promesses résonnent auprès des marginalisés. Le gourou défend une société égalitaire et fait bénéficier ses adeptes de ses largesses caritatives. Ce père de trois enfants se décrit comme un philanthrope. Il dirige depuis l’âge de 23 ans le culte Dera Sacha Sauda. Fondée en 1948, cette secte du nord de l’Inde rassemblerait 60 millions de fidèles, d’après son site internet.
Narcissisme charismatique
Surnommé «le gourou bling bling», Gurmeet Ram Rahim Singh est aussi une rock star qui a donné plus d’une centaine de concerts. Il porte des t-shirts à paillettes, exhibe ses muscles, aime les cascades à moto, et rappe en langue punjabi.
Producteur et acteur, il a réalisé trois films, dans lesquels il incarne «le messager de Dieu», un héros doué de pouvoirs divins pour sauver le monde. Il défie des extraterrestres, remporte des courses-poursuites, et envoie des missiles au Pakistan. Pour ses adeptes, son narcissisme est charismatique. Mais en raison de son autoproclamation divine, le premier film a suscité la censure et la haine des Sikhs traditionnels qui y dénonçaient une atteinte à leur religion.
«Ce gourou promet une forme de salut aux basses castes du sikhisme, explique le sociologue Deepak Mehta. Son message mêle un mouvement de libération des castes et une revendication de la modernité.» Pour les plus pauvres, sa vie flamboyante représente une success story. «Ses disciples rejettent sa condamnation car elle est pour eux la loi des classes privilégiées», ajoute le sociologue.
Accumulation illégale de richesses
Les violences de ses partisans mettent en lumière les dangers de l’influence des gourous qui jouissent en Inde d’une autorité morale sans précédent, entretenue par leur assise financière, politique et religieuse. «Ram Rahim est un escroc, souligne Deepak Mehta. Son pouvoir se base sur l’accumulation illégale de richesses qu’il fait passer pour des donations. Et la plupart des grands gourous sont comme lui.»
Le plus populaire parmi eux est Baba Ramdev. Il revendique le parcours d’un homme d’origine modeste, aujourd’hui à la tête de sa multinationale de produits ayurvédiques Patanjali. Mais il n’est pas sans traîner de vieux dossiers et a refusé récemment la publication de sa biographie.
Proche du BJP, le parti au pouvoir
Ces chefs spirituels restent courtisés par les politiciens qui craignent de toucher à la religion. Le gouvernement avait ainsi conféré à Gurmeet Ram Rahim Singh un statut «VIP» de protection sécuritaire exceptionnelle. Ce week-end, la presse a rappelé l’amitié entre Ram Rahim Singh et le BJP, le parti nationaliste hindou au pouvoir. «Les gourous jouissent d’une influence disproportionnée, dénonce le quotidien The Statesman. Le lien entre religion et politique est un sacrilège.» Ce lien a été privilégié de la même façon lorsque le parti d’opposition du Congrès était au pouvoir.
Et il aura fallu 200 audiences, quinze ans de procédures et le courage des enquêteurs soumis à des intimidations pour aboutir à une condamnation de Gurmeet Ram Rahim Singh, dont la sentence est attendue lundi 27 août dans un climat très tendu.