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Collaboration avec une HES
En septembre 2013, une délégation de l’Académie chinoise de la technologie des lanceurs (CALT), une filiale de la Société de sciences et technologies aérospatiales de Chine (CASC), l’un des principaux fournisseurs de missiles et de fusées de l’armée chinoise, s’est rendue en visite à la Haute Ecole spécialisée du nord-ouest de la Suisse (FHNW). Il en est issu un laboratoire de recherche commun, incluant l’Ecole technique de Rhénanie-Westphalie, en Allemagne.
L’objectif était de développer une pompe à écoulement axial pour l’industrie médicale, indique Katja Grünblatt, une porte-parole de la FHNW. Celle-ci devait équiper un cœur artificiel que CALT cherchait à développer en s’appuyant sur la technologie de lévitation magnétique et liquide utilisée pour piloter les fusées à usage militaire. L’école helvétique allait concevoir et fabriquer la pompe et le partenaire allemand allait mener des essais in vitro, précise-t-elle. Dans le cadre de ce projet, des scientifiques chinois se sont rendus sur le campus de la haute école, ajoute-t-elle. La collaboration a depuis été suspendue, mais CALT n’a pas renoncé à son projet. Son cœur artificiel a été implanté sur deux patients en mars 2019 et les premiers essais cliniques débuteront d’ici à la fin de l’année.
L’EPFZ aussi concernée
Ce n’est pas la seule incursion du complexe militaro-industriel chinois en Suisse. L’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) a publié plusieurs papiers de recherche avec l’Université d’aéronautique et d’astronautique de Nankin, l’un des «sept fils de la défense nationale», selon un index publié par la revue Nature. L’un des directeurs adjoints de cette institution aurait participé à un vol de technologie à l’américain GE Aviation, selon une plainte déposée aux Etats-Unis en 2018.
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La collaboration avec l’EPFZ porte essentiellement sur les matériaux quantiques, un domaine de recherche prioritaire pour la Chine en raison de ses applications potentielles en matière de cryptographie. L’EPFZ a aussi publié un papier de recherche avec des implications pour l’industrie gazière avec la China Shipbuilding Industry Corporation, un conglomérat étatique qui fournit 80% des équipements de la marine chinoise, selon l’index de Nature. Interrogée sur ces collaborations, une porte-parole de l’EPFZ confirme que l’institution a publié six papiers avec ces deux entités depuis 2016. Elle précise toutefois que d’autres universités suisses ont également collaboré avec elles, sans toutefois les nommer.
Certains de ces projets peuvent sembler anodins. Mais la recherche financée par les entités affiliées à l’armée chinoise est souvent à double usage civil et militaire, relève Alex Joske, en citant le cas des pompes cardiaques de CALT. «Tout chercheur qui fait de la recherche avec un groupe d’armement doit se poser la question de l’usage qui sera fait des technologies qu’il a contribué à développer», souligne Marc Laperrouza, un spécialiste de l’innovation en Chine à l’EPFL.
La riposte s’organise
Il y a des implications de sécurité nationale. «En fournissant des technologies à l’armée chinoise, on contribue à affaiblir son propre pays», relève Charles Parton, un ex-diplomate britannique expert des questions de défense chinoises. Il y a aussi une dimension éthique. «On risque d’alimenter les outils de répression déployés par Pékin contre ses propres citoyens», dit-il. Les avancées en matière de reconnaissance faciale et d’intelligence artificielle ont par exemple permis à la Chine de mettre en place un état de surveillance total au Xinjiang.
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Dans les pays anglo-saxons, la riposte a commencé à s’organiser. En septembre, les Etats-Unis ont renforcé les contrôles sur les visas octroyés aux scientifiques chinois travaillant sur des domaines sensibles. En novembre, l’Australie a introduit un registre qui recense tous les projets de recherche menés ou financés avec des entités étrangères. «Les universités doivent se réveiller, juge Charles Parton. Elles se montrent encore bien trop naïves quant aux risques posés par les collaborations avec la Chine.»