Multilatéralisme
Un rapport publié jeudi décrit la manière dont la Chine cherche à imposer son modèle de développement. L’ONG International Service for Human Rights s’inquiète que l’ONU s’identifie à ce point à un projet «idéologique et économique»

Depuis l’avènement de la présidence de Xi Jinping, quel est le rôle de la Chine dans le système multilatéral et plus particulièrement au sein des Nations unies? L’ONG International Service for Human Rights, présente à Genève, a voulu en avoir le cœur net. Elle vient de publier un rapport décapant de 23 pages sur la manière dont Pékin exerce son influence sur les Nations unies.
Influence à l’Ecosoc
L’ONG genevoise décrit ainsi comment l’ONU s’implique, même financièrement, dans le projet de nouvelle Route de la soie connue sous le nom d’Initiative «Une Ceinture, une Route (BRI)», élaboré à partir de 2013 par le pouvoir chinois. En 2017, quelque 25 agences onusiennes avaient conclu un protocole d’accord ou des accords similaires pour s’engager dans la BRI. Le rapport montre «comment le langage et les concepts de la BRI, projet idéologique et économique – conçue par le gouvernement chinois, le Parti communiste chinois et Xi Jinping – a été adopté par l’ONU, plus spécifiquement par son Conseil économique et social ainsi que les organes et agences qui lui sont liés, comme une initiative phare du développement».
L’ONG ne cache pas son inquiétude. A ses yeux, le programme de développement chinois concrétisé dans la BRI fait de plus en plus fi des droits humains et sape l’interdépendance entre deux des trois piliers des Nations unies, à savoir le développement et les droits de l’homme. «Le modèle de coopération en matière de développement promu par la Chine, précise le document, se focalise presque exclusivement sur des indicateurs économiques tels que la réduction de la pauvreté, la modernisation industrielle et le commerce. Il voit la croissance économique comme le premier objectif souhaité et comme une précondition à la jouissance des droits humains.»
Lire: Genève au cœur de l’affrontement Chine-Etats-Unis
La nouvelle Route de la soie, ajoute l’ISHR, est aussi une manière pour Pékin de centrer les relations internationales non pas sur les individus et les communautés, mais sur les seuls Etats. L’autre inquiétude a trait à l’indépendance des Chinois nommés à des postes à l’ONU. En 2018, le directeur du Département des affaires économiques et sociales (DESA) de l’ONU et sous-secrétaire des Nations unies, le Chinois Wu Hongbo, le déclarait à une télévision chinoise: «Quand il est question de la souveraineté et de la sécurité nationale chinoises, (les responsables onusiens chinois) vont clairement défendre les intérêts» de la Chine.
Le rapport interroge: en tant qu’institution multilatérale, l’ONU doit-elle adhérer aussi pleinement à un projet émanant d’un seul Etat membre? Des critiques se font toujours plus fortes au sujet de certaines implications de la BRI. Au Monténégro, dont le PIB est de 4,9 milliards de dollars, un projet de la BRI chiffré à plus de 1 milliard de dollars risque d’avoir de fâcheuses conséquences. L’endettement de ce pays des Balkans pourrait projeter le Monténégro dans une spirale infernale. Et si Podgorica ne peut assumer ses engagements, il pourrait, selon les arbitrages menés à Pékin, devoir céder certaines de ses infrastructures clés à la Chine.
Lire aussi: Les droits humains, enjeux d’un choc des puissances
Fonds chinois
L’ISHR relève que Pékin est parvenu à faire financer la BRI par plusieurs canaux onusiens. En 2016, la Chine a fondé le Fond d’affectation spéciale des Nations unies pour la paix et le développement avec une promesse de 1 milliard de dollars sur dix ans. Quatre des cinq membres du Comité de pilotage de ce fonds, qui choisit les projets à financer, sont des anciens ou actuels responsables chinois, dont Liu Zhenmin, ex-vice-ministre des Affaires étrangères. Le comité est présidé par le chef de cabinet du patron de l’ONU Antonio Guterres. Il y a un lien direct entre la direction de l’ONU et la distribution des fonds chinois à des projets onusiens. L’un des deux sous-fonds du Fond d’affectation soutient explicitement des projets «liés à des pays en voie de développement participant à l’initiative Une Ceinture, une Route». Il a, à ce jour, financé au moins sept projets depuis 2016 mis en œuvre par le DESA, la Cnuced, le PNUD, l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Unido) et l’OIT.
Des contributions directes et «fléchées» (attribuées à des projets spécifiques) de Pékin dans le cadre onusien ont permis de déplacer les priorités de certaines agences onusiennes vers la BRI. C’est ainsi que l’UNEP, l’agence de l’ONU pour l’environnement, a développé un partenariat avec le China Trust Fund pour développer le côté «vert» de la Route de la soie. L’Unicef en Chine a, selon le document, promu les Objectifs de développement durable (ODD) surtout dans les pays participant à la BRI. Unido, dirigée depuis 2013 par l’ancien vice-ministre chinois des Finances Li Yong, a attribué des fonds chinois à des projets relevant de la Route de la soie. Au sein de l’ONU, Pékin a réussi à obtenir des soutiens politiques en haut lieu. Peu après son élection, le directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a fait l’éloge de la Route de la soie sanitaire et du modèle sanitaire chinois. Après des années d’investissements chinois massifs en Ethiopie, Pékin avait fortement soutenu sa candidature.
Dans un rapport intitulé «China’s expanding influence at the United Nations», le chercheur à la Brookings Institution à Washington et ancien haut responsable onusien Jeffrey Feltman nuance: «La peur de voir la Chine transformer l’ONU de l’intérieur est, si ce n’est exagérée, du moins prématurée. Quelles que soient ses ambitions, la Chine n’a pas remplacé les Etats-Unis comme plus puissant Etat membre de l’ONU.»
Lire enfin: Jeremy Konyndyk: «La Chine n’est pas la seule à exercer des pressions sur l’OMS»
ONG menacées
Mais de fait, la Chine a réussi à placer de nombreux diplomates dans des postes clés de l’Ecosoc, l’un des six organes les plus importants de l’ONU et jouant un rôle clé dans la mise en œuvre des ODD. Elle est représentée dans quasiment toutes les commissions et comités de l’Ecosoc. C’est à l’image de l’ONU: la Chine a pu placer quatre de ses diplomates à la tête d’agences spécialisées de l’ONU sur les quinze existantes. C’est plus que n’importe quel autre Etat membre.
L’autre crainte de l’ONG de défense des droits de l’homme touche à la société civile. ISHR déplore la manière dont Pékin, au sein du Comité des ONG de l’Ecosoc, cherche, comme d’autres Etats, à bloquer des organisations non gouvernementales dans le domaine des droits humains qu’il accuse de «sympathies avec le terrorisme».
Or c’est là que les ONG doivent obtenir leur accréditation. La Chine impose ainsi la terminologie «correcte» de l’ONU au sujet de Taïwan et du Tibet. C’est une condition pour obtenir l’accréditation. En 2019, 49 ONG ont vu leur demande différée pour s’être référées à Taïwan et non à «Taïwan, province de Chine». En 2017, Pékin a utilisé sa présence au sein du Comité des ONG pour empêcher, malgré les protestations de Berlin et de Washington, une ONG allemande de participer au Forum permanent de l’ONU sur les questions des peuples indigènes.