Ils sont assis derrière une table, les pieds dans le sable, casquette ou foulard sur la tête. Ils répondent aux questions des journalistes via Zoom depuis l’île de Pulau Pari, en Indonésie, où ils vivent. Depuis onze ans, cette petite langue de terre située à une vingtaine de kilomètres de Djakarta a perdu 11% de sa surface en raison du changement climatique. Des inondations régulières abîment les maisons, endommagent les grands arbres fruitiers et font fuir les touristes, tandis que le poisson se raréfie.

Ce lundi 30 janvier, quatre de ces habitants ont déposé plainte au nom de la population de l’île (1500 âmes) contre le cimentier suisse Holcim, qu’ils estiment coresponsable du réchauffement climatique. Ils demandent à la multinationale basée à Zoug de réduire rapidement ses émissions de CO2 et lui réclament une indemnisation proportionnelle aux dégâts causés par les changements climatiques ainsi qu’une participation au financement des mesures de protection contre les inondations. Soit quelque 16 000 francs au total, dont 1000 francs par personne pour tort moral. Trois ONG, dont l’Entraide protestante suisse (EPER) soutiennent cette démarche. La plainte, déposée à Zoug, a été précédée d’une tentative de conciliation qui aurait échoué, selon les ONG, malgré les faibles sommes en jeu.

Seconde procédure intentée par des habitants du Sud

Cette action est la première procédure civile ordinaire engagée en Suisse contre une entreprise pour son rôle dans le réchauffement climatique, expliquent les ONG. Au niveau international, il s’agit de la seconde procédure intentée par des habitants du «Sud» contre un grand groupe occidental. Le géant de l’énergie allemand RWE doit ainsi répondre des conséquences de ses émissions de CO2 sur la fonte d’un glacier andin. Ailleurs, d’autres types d’actions en justice dans le domaine du climat ont été couronnées de succès. Aux Pays-Bas, le groupe Shell a été condamné en 2021 à réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici 2030.

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Pourquoi Holcim? «Il s’agit du plus gros émetteur de CO2 de Suisse», souligne Yvan Maillard Ardenti, responsable du dossier justice climatique à l’EPER. Cette dernière travaille depuis 2016 avec Wahli, qui est la plus ancienne ONG environnementale d’Indonésie. Selon ces organisations, Holcim aurait rejeté plus de 7 milliards de tonnes de CO2 depuis 1950, soit 0,42% de l’ensemble des émissions industrielles mondiales et «plus du double de ce que la Suisse a émis sur la même période». Et d’en conclure que le groupe «est en grande partie coresponsable de la crise climatique et de la situation critique sur l’île de Pari».

Stratégie climatique d’Holcim: «trop peu, trop tard»

Les ONG taclent également la stratégie climatique d’Holcim, qui promet de produire exclusivement des matériaux de construction neutres pour le climat et entièrement recyclables d’ici 2050. Selon elles, ces engagements sont insuffisants et trop tardifs. Surtout, le groupe prévoit, selon elles, une réduction par tonne de ciment, au lieu d’une réduction absolue de ses émissions de CO2. De plus, les méthodes de la Science Based Target Initiative SBTi, l’organisation chargée d’évaluer et de valider les objectifs climatiques d’Holcim, sont critiquables: «La répartition du budget résiduel de CO2 entre les différents actrices
et acteurs […] ne tient pas compte de la responsabilité historique et des capacités économiques des responsables», résument les ONG.

Dans une prise de position en anglais qu’il nous a fait parvenir, le groupe Holcim maintient que l’action climatique est «une priorité absolue, au cœur de (sa) stratégie». Il affirme poursuivre une «approche scientifiquement fondée», en accord avec l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré. Selon le cimentier, les actions en justice focalisées sur les entreprises ne sont pas un bon moyen d’agir sur la protection du climat, qui est une affaire complexe. Holcim affirme privilégier des partenariats tout au long de la chaîne de la construction pour accélérer la transition vers le «zéro net».