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En paroles, les talibans ont respecté leur engagement, du moins sur les réseaux sociaux, lorsqu’ils s’adressaient à un «public» occidental. Mais depuis lors, plusieurs témoignages et enquêtes ont montré que, avant de signer ce document, ils avaient pris soin de partager les dessous de leur stratégie avec la direction d’Al-Qaida. Une manière de préparer la nébuleuse djihadiste à leurs futures déclarations dirigées en apparence contre eux.
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«Eviter d’être vus à nos côtés»
Ainsi, des documents publics émanant d’Al-Qaida semblent montrer que la portée de ce «message» taliban a été parfaitement comprise: «Bien sûr, la stratégie des talibans consiste à éviter d’être vus à nos côtés ou à révéler la moindre coopération ou accord entre eux et nous», précisait l’un des chefs du groupe terroriste, Atiyyat Allah al-Libi. En ajoutant: «Leur but est d’éviter une trop grande pression internationale ou régionale.»
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Bien plus: Al-Qaida, à son tour, s’était bruyamment félicitée de cet accord, le célébrant (déjà!) comme une victoire décisive, non seulement pour les talibans eux-mêmes, mais aussi pour le djihadisme global. Même si les visées des talibans sont purement nationales, Al-Qaida a toujours manifesté publiquement un grand «respect» pour la marche des talibans vers l’établissement d’un «émirat islamique». Une admiration qui se trouve sans doute aujourd’hui décuplée du fait de la «victoire» des talibans sur les Etats-Unis, plus de vingt ans après avoir été délogés une première fois de Kaboul, en 2001.
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«Bien sûr, ils vont revenir»
Alors que la raison première de l’invasion américaine de l’Afghanistan était la lutte contre Al-Qaida et son fondateur, Oussama ben Laden, les talibans peuvent-ils aujourd’hui poursuivre cette «stratégie», et garder intacts leurs liens avec l’organisation terroriste? Autrement dit, l’Afghanistan dominé par les talibans va-t-il redevenir un «sanctuaire» pour les combattants d’Al-Qaida?
«Bien sûr, ils vont probablement revenir», répondait sans détour en fin de semaine dernière le secrétaire à la Défense britannique, Ben Wallace. «Le retrait américain d’Afghanistan est la meilleure nouvelle reçue par Al-Qaida depuis des décennies», semblait surenchérir Nathan Sales, ancien coordinateur pour le contre-terrorisme au sein du Département d’Etat américain sous… la présidence de Donald Trump.
Quelques jours avant la conclusion de l’accord de Doha, des responsables talibans mettaient encore en question la responsabilité d’Al-Qaida dans les attaques du 11 septembre 2001. Il y a vingt ans, les dénégations étaient du même ordre, les talibans se disant prêts à juger eux-mêmes Ben Laden, à la condition que les Américains leur apportent «des preuves concrètes» de sa culpabilité. A l’époque, il est vrai, Al-Qaida disposait de solides arguments en sa faveur, puisqu’elle versait quelque 20 millions de dollars annuels aux talibans afin qu’ils ferment les yeux sur ses activités en Afghanistan et laissent s’entraîner son «armée» de centaines de combattants étrangers dans les camps préparés à leur intention.
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Même si l’Al-Qaida d’aujourd’hui est loin d’avoir la même envergure, les liens établis avec les talibans ne se sont guère distendus. Ayman al-Zawahiri, le chef actuel de l’organisation, a prêté allégeance aux talibans en 2015, avant de reconnaître, l’année suivante, leur nouveau chef comme «l’émir des croyants». Malgré l’éloignement de façade, cette «allégeance» n’a jamais été remise en question par l’organisation terroriste.
400 à 600 hommes armés
Dans un rapport aux accents prémonitoires remis au Conseil de sécurité de l’ONU en mai dernier, des experts internationaux mettaient eux aussi en avant les liens étroits qui rapprochent toujours les deux groupes. Selon leurs estimations, Al-Qaida compterait entre 400 et 600 hommes armés, qui continuent d’opérer dans une bonne partie de l’Afghanistan (12 provinces sur les 34 du pays) sous la protection des talibans.
Ces liens – nourris par des rencontres auxquelles a participé Al-Zawahiri lui-même – passent par ce que les experts appellent le «réseau Haqqani», du nom du mollah Djalâloudine Haqqani, qui fut un important allié des Américains contre les Soviétiques dans les années 1980, avant de prendre fait et cause pour Ben Laden. Aujourd’hui, le clan dominé par son fils Seraj, fort de quelque 10 000 hommes, est une composante centrale du mouvement des talibans. Les experts de l’ONU détaillent des liens extrêmement difficiles à défaire avec Al-Qaida: «Des liens d’amitié, une histoire de lutte partagée, une sympathie idéologique et des liens fréquents d’intermariages.» Une affaire, donc, de compagnons d’armes, de cousins idéologiques et de frères de sang.