Ce samedi, nous sommes le 4 juin. En Chine, c’est une date particulière: il y a 27 ans, durant la nuit, les chars déboulaient sur la place Tiananmen pour déloger les derniers manifestants pro-démocratie qui observaient une grève de la faim. L’opération fit plusieurs centaines de morts à Pékin, peut-être des milliers à l’échelle de la Chine.

Libéré après 27 ans

Le 4 juin (6.4 ou «liu si» en chinois) est toujours tabou en Chine. Le mot est censuré sur l’Internet et ceux qui brisent l’interdit risquent la prison. C’est ce qui est arrivé à un certain Fu Hailu, de Chengdu, qui avait posté en ligne il y a quelque temps une image de bouteille de liqueur dont l’étiquette représentait la célèbre photo du pékin stoppant les tanks de l’Armée populaire de libération. Accusé d’incitation à la subversion, il rejoint plusieurs autres personnes condamnées pour les mêmes raisons ces dernières années comme Yu Shiwen, un manifestant de 1989, à nouveau emprisonné en 2014. Le dernier détenu connu arrêté directement en lien avec ces événements est Miao Deshun. Il devrait être libéré cet automne. Il aura purgé 27 ans de prison.

Pétition pour l’homme du tank

Alors que la mémoire de ce massacre s’efface en Chine et ailleurs (seuls les Hongkongais se réuniront en masse ce samedi pour se souvenir alors que le parlement taïwanais a procédé à une commémoration vendredi), un petit groupe d’opposants chinois au parti communiste basés aux Etats-Unis fait circuler une pétition sur Internet. Ils veulent résoudre une des grandes énigmes de l’Histoire du XXe siècle: qui était l’homme en blanc qui a stoppé les chars de Tiananmen, devenu le symbole de la résistance pacifique de ce mouvement, et qui était le tankiste qui a refusé de l’écraser, symbole quant à lui du triomphe de la morale sur les ordres militaires d’une dictature. Ce sont les deux héros anonymes de ce drame. Que sont-ils devenus? Où séjournent-ils aujourd’hui? Ces questions seront adressées à Xi Jinping, le secrétaire général du parti qui tient l’«incident» de 1989 pour un «acte contre-révolutionnaire». Vendredi, il manquait encore 2125 paraphes pour atteindre l’objectif des 7500 signataires.

En Chine même, d’autres personnes ont écrit à Xi Jinping. On les appelle les «mères de Tiananmen», elles sont encore 131, toutes ont perdu un fils, une fille, un mari durant cette sinistre nuit du 3 ou 4 juin. «Depuis 27 ans, écrivent-elles, nous avons réitéré trois demandes: la vérité, une enquête et une compensation.» Les autorités n’ont jamais répondu «prétendant que le massacre n’avait jamais existé».

Le ministre fait la leçon

Le silence imposé depuis 27 ans par Pékin n’est pas près d’être levé comme le démontre cet autre incident: mercredi, le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, était en visite au Canada. Au sortir de ses entretiens officiels, il a accepté de répondre à une question. Les journalistes canadiens se sont alors mis d’accord pour demander ce qu’il en était des droits de l’homme en Chine à la suite de l’arrestation de plusieurs éditeurs et libraires à Hongkong. Le ministre Wang – a-t-il perdu ses nerfs ou était-ce un rôle de composition – s’en est pris violemment à la journaliste partie au front: «Votre question est empreinte de préjugés et d’arrogance», a-t-il commencé par répondre avant d’enchaîner: «Personne ne connaît mieux que le peuple chinois lui-même la situation des droits de l’homme en Chine. Vous n’avez pas le droit de parler. Ne reposez plus ce genre de questions irresponsables».

Cette tentative d’intimidation ne surprendra aucun journaliste chinois. Elle est plus inhabituelle hors de Chine. Alors encore une question, M. Wang, sans préjugé ni arrogance: qui étaient les deux protagonistes de la photo des tanks de Tiananmen? Il n’y a pas que les Chinois qui se posent cette question.