Analyse
ANALYSE. Pékin distribue son aide et vend ses masques en fonction d’intérêts géostratégiques bien définis. Une façon très efficace d’améliorer son image dans le monde

Les masques de protection, leur efficacité, leur absence, leur production, sont au cœur des préoccupations ces jours. Nous y consacrons une série d’articles.
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Le 12 février dernier, l’Université de médecine chinoise de Nankin racontait sur son site internet comment un étudiant de l’Université de Fribourg s’était démené, avec l’aide de l’un de ses professeurs du Département de la santé communautaire, pour transférer de Suisse en Chine un lot de 10 000 masques chirurgicaux dont elle avait un urgent besoin face au Covid-19. Il y a quelques semaines, le monde se mobilisait pour envoyer vers la Chine des masques, appareils d’aide respiratoire et autres matériels de protection pour aider le personnel soignant débordé par l’ampleur de la crise sanitaire. La Chine, qui abrite l’essentiel de la production de masques dans le monde, devait importer ce matériel.
L’Ethiopie soignée
En un peu plus d’un mois, la situation s’est inversée. La Chine, qui affirme avoir jugulé la progression du virus, se montre à son tour solidaire et exporte vers le monde entier ses masques. Xi Jinping, le président chinois, explique que tous les pays doivent s’unir pour lutter contre la pandémie. Mais alors que l’aide qui affluait vers la Chine était très souvent d’origine privée, les Etats passant par les organisations internationales ou faisant des dons d’argent à la Croix-Rouge chinoise par exemple (Berne a versé 600 000 francs), l’Etat chinois contrôle ces transports pour leur donner une visibilité maximale. Et quand ce sont des entrepreneurs chinois, ils sont en ligne directe avec l’Etat pour coordonner leur action. Cette diplomatie du masque, que ce soit par des dons, des prêts, ou en favorisant la vente de biens, s’inscrit dans une vaste offensive de charme. C’est ainsi qu’à l’heure où le transport aérien international est cloué au sol, la compagnie Air China est toute disposée à effectuer ce fret avec un bénéfice d’image immédiat.
Alors que l’aide qui affluait vers la Chine était très souvent d’origine privée, Pékin contrôle ces transports pour leur donner une visibilité maximale
Cette stratégie se déploie dans le monde entier. Récemment, l’agence Chine Nouvelle indiquait que 54 nations d’Afrique recevraient chacune 20 000 kits de test, 100 000 masques et 1000 tenues de protection médicale de la Fondation Jack Ma, fondateur d’Alibaba, homme le plus riche de Chine et membre du Parti communiste. Il a également proposé son aide au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. L’Ethiopie, pays d’origine du directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a reçu à elle seule 1,1 million de tests, 6 millions de masques et 60 000 tuniques de protection médicale. Huawei et Xiaomi, entreprises de télécommunication, multiplient aussi les annonces de dons de masques, notamment en Europe.
L’Europe courtisée
Continent désormais le plus touché par l’épidémie, l’Europe fait l’objet d’une attention particulière. La Chine, qui produit actuellement 116 millions de masques par jour, a annoncé une donation de 500 000 masques à l’Espagne et l’envoi de 2 millions de masques vers l’Italie ainsi que l’acheminement d’appareils respiratoires commandés par Rome. Luigi di Maio, le ministre italien des Affaires étrangères, déclarait la semaine dernière que son pays «se souviendrait de ceux qui étaient avec nous dans les moments difficiles». Aux autorités italiennes, Xi Jiping a expliqué qu’il voulait contribuer à une «Route de la soie de la santé», en référence au vaste programme chinois d’investissement à l’étranger dont Luigi di Maio est l’un des plus ardents promoteurs sur le continent.
Pékin cible les Etats en fonction de ses intérêts, que ce soit au sein de l’UE (Espagne), du G7 (Italie) ou hors de l’UE. La Serbie fait partie de ce plan. Il y a une dizaine de jours, le président serbe, Aleksandar Vucic, appelait Pékin à l’aide. Son pays avait besoin de tout: masques, appareils de ventilation, blouses, gants, etc. Le leader serbe ajoutait: «La solidarité européenne n’existe pas. […] C’est un conte de fées. Je crois en mon frère et ami Xi Jinping, je crois à l’aide des Chinois.» Des propos largement repris par la presse chinoise qui multiplie les articles sur le chaos et la désorganisation européenne, et américaine, face au Covid-19. Une stratégie payante, mais qui commence à sérieusement irriter les autorités bruxelloises et Washington.
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