Grèce
Ils sont des dizaines de milliers à camper, dans la capitale grecque, dans les installations délaissées des Jeux Olympiques de 2004. Le silence du CIO, qui a débloqué une première aide, est dénoncé par les humanitaires

Miro Zeravica étreint son chronomètre. Entraîneur de natation du club turc de Galatasaray, à Istanbul, cet ex-champion croate se félicitait samedi d’avoir placé Yazici, l’une de ses nageuses, sur le podium du championnat d’hiver des clubs organisé dans l’ex-piscine des Jeux Olympiques de 2004. Une compétition dont Mohsen, 17 ans, ne rate pas une minute. Dans un recoin des travées, le jeune nageur iranien a été convié par la Fédération grecque de natation à venir rencontrer ici les athlètes de l’Olympiakos Swimming, le meilleur club d’Athènes.
Une parenthèse sportive, avant de réintégrer en soirée un site olympique bien différent: l’ex-stade de baseball des JO athéniens, accolé à l’ancien aéroport d’Hellinikon: «Je suis là parce qu’un volontaire humanitaire a cru à mon histoire, explique dans un mauvais anglais cet ex-champion lycéen originaire d’Abadan, la ville pétrolière iranienne. Il a parlé de moi et on m’a invité. Je ne suis pas au niveau, mais au moins je m’entraîne et j’existe.»
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Mohsen ignore qu’en janvier, le président du Comité international olympique (CIO) Thomas Bach était à Athènes. Idem pour Giorgos, bénévole de Médecins du monde Grèce, dont la permanence se situe au pied de la porte d’embarquement 14 de l’ex-aéroport d’Hellenikon. Là où débarquèrent sans doute, voici douze ans, des athlètes du monde entier venus s’affronter lors du centenaire de l’Olympisme. «Le CIO? Ils manient des milliards d’euros non? Combien vont coûter les prochains jeux d’été, au Brésil? Croyez-vous qu’ils parleront de ce qui se passe ici?», lâche Giorgos en pointant, dans l’ancien bureau des douanes aéroportuaires, les couvertures grises, les sacs de couchage, les jouets, la nourriture et les tentes distribuées aux familles. Selon Laura Pappas, coordinatrice grecque de l’Unicef, des centaines de migrants mineurs comme Mohsen sont coincés ici. De 8 à 18 ans. «Il faudrait les occuper, qu’ils fassent du sport, qu’ils soient regroupés. Mais à part quelques exceptions, ils sont rejetés dans le flot et le chaos», dit-elle.
La police barre l’entrée des deux stades olympiques voisins: ceux du baseball et du hockey sur gazon. C’est là que vit notre nageur. Il y partage, au milieu d’une cohue de familles et de gamins, un recoin avec Sohrab, 53 ans, un enseignant Iranien d’Abadan contraint de fuir sous la menace de la police, dit-il. On pénètre en se glissant sous une barrière. Du linge pend dans les tribunes. Le stade est à la fois dortoir, cuisine, hôpital de fortune. Odeur de sueur. Toux qui racle les gorges. Des jeunes tapent dans des ballons pour se distraire. Dans l’ancien carré VIP des tribunes? Les Iraniens. En contrebas? Les Pakistanais. Au milieu? Irakiens et Syriens. A l’orée de la pelouse? Des Afghans. Revenu avec nous en taxi, Mohsen, plie sa serviette de l’Olympiakos. Juste au-dessus de son amas de sacs plastiques, un panneau. Press Entrance. L’entrée des journalistes lors du tournoi de baseball des JO 2004 remportée par Cuba. En l’absence des Etats-Unis, non qualifiés.
Le berceau de l'Olympisme se transforme en centre de rétention
L’olympisme et les migrants, ou les ruines d’un rêve fracassé de tolérance sportive et d’une humanité meilleure. A Lausanne, au siège du CIO, Thomas Bach et ses équipes ont promis qu’une délégation de cinq à dix athlètes réfugiés «de haut niveau» défilera derrière le drapeau olympique en ouverture des jeux de Rio de Janeiro, le 5 août prochain. A Athènes où plus de 8 milliards d’euros pour les JO de 2004 ont été dépensés pour les infratructures, les sites marqués des fameux anneaux, souvent en très mauvais état, sont le miroir d’une capitale européenne lâchée par un continent égoïste.
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En septembre 2015, lors d’une première visite à Athènes, le président du CIO a débloqué 2 millions de dollars d’aide. Une goutte d’eau, alors que la fermeture endémique des frontières en Europe est en train de transformer le berceau de l’olympisme en vaste centre de rétention. La Grèce a besoin de centaines de millions pour faire face. L’ancien stade de tae kwon do des JO de 2004, à Falliro, accueille déjà l’aide humanitaire. L’ex-hall olympique de Galatsi, où se déroulèrent les épreuves de gymnastique, vient d’être évacué par la police alors que des milliers de déplacés y avaient trouvé refuge. Son accès est aujourd’hui barré par de grandes grilles cadenassées.
A Maroussi, aux abords du stade principal des JO et de la piscine olympique, deux campements improvisés ont été démantelés. Une famille a juste eu le temps de scotcher sur un poteau l’avis de recherche en arabe de sa fille aînée, Batul Ahmadi, 20 ans, disparue après son arrivée sur l’île grecque de Lesbos. Deux numéros de téléphone portable y figurent. L’ombre des réseaux mafieux de prostitution plane aux portes du «Fencing Hall», l’antre des escrimeurs.
Le jeune homme en treillis bleu qui s’avance vers nous à Thrakomakedones, dans le nord d’Athènes, symbolise l’autre versant du drame de ces migrants acculés au pied de l’Olympie. Mitraillette en bandoulière, ce capitaine qui refuse de nous donner son nom garde, dans l’académie nationale de police, le centre pour les illégaux expulsables. Des tentes bleues sont adossées aux bâtiments. Il les désigne. Entrée interdite sans autorisation. «Deux cent sont là, surtout des hommes d’Afghanistan ou du Bangladesh», affirme l’officier. Or à Hellenikon, les humanitaires grecs expliquent, eux, qu’une partie de l’ancien village des athlètes des JO, pourrait être à son tour réquisitionné. Que se passera-t-il si la dizaine de milliers de migrants syriens, irakiens et autres bloqués à Idomeni, à la frontière macédonienne, refluent vers la capitale? Les anneaux olympiques rimeront-ils demain avec prison?
Après l'indignation, les symboles?
Pourquoi, alors, ne pas en tirer les conséquences? Sur la place Victoria, où se regroupent les migrants en plein centre d’Athènes, asphyxiant commerces et riverains, les volontaires de Médecins du monde s’interrogent. Ils saluent la formidable mobilisation de nombreux grecs. Ils pestent contre les ambassades européennes, qui se contentent de promettre et d’envoyer des missions. Pourquoi ne pas reconvertir d’autres stades? Pourquoi ne pas faire des ex-sites olympiques athéniens le symbole du refus de l’égoïsme au lieu de laisser croupir les nouveaux arrivants au port du Pirée, submergé par le tsunami migratoire?
«Ce serait un signal fort à la veille des JO de Rio», argumente Kristina de Médecins du monde. A ses côtés, une adolescente un peu crasseuse, allongée sous une tente, attend de récupérer sa tablette branchée sur une batterie. Echouée ici avec sa sœur, la gamine dit venir de Bamyan, au centre de l’Afghanistan. Ce pays qui, au lendemain de la chute des talibans, avait envoyé fièrement, symbole de revanche, deux athlètes féminines aux premiers Jeux du nouveau siècle.