Aung San Suu Kyi reste privée de liberté
BIRMANIE
Dépassée par l'ampleur de la crise humanitaire, la junte est plus crispée que jamais face à toute forme de critique.
Fragilisée par un cyclone qui a fait selon un bilan provisoire 133000 morts et disparus, la junte birmane est moins que jamais disposée à assouplir son strict contrôle politique. Les militaires ont ainsi signifié mardi à la leader de l'opposition Aung San Suu Kyi que son assignation à résidence surveillée était prorogée d'un an. C'est une petite délégation du Ministère de l'intérieur qui s'est chargée de cette routine dont le rituel se répète chaque printemps depuis cinq ans. Après dix minutes d'entretiens avec le Prix Nobel de la paix, ils ont quitté sa maison délabrée du centre de Rangoon (l'ex-capitale) où elle est détenue depuis 2003 pour communiquer cet ordre à la presse.
Agée de 62 ans, Aung San Suu Kyi dirige la Ligue nationale pour la démocratie (LND), qui avait largement remporté les élections générales de 1990 dont les résultats furent ignorés par la junte. Ces dix-huit dernières années, The Lady (comme l'appellent les Birmans) a été détenue sans procès pendant plus de douze ans. Certains observateurs espéraient un geste de clémence à son égard en signe de reconnaissance du régime envers l'aide extérieure aux victimes du cyclone. Le ministre indonésien des Affaires étrangères, Hassan Wirayuda, a par exemple appelé le même jour à sa libération en expliquant que ce serait une manière de remercier la communauté internationale pour sa générosité. Il n'était guère optimiste, il est vrai. Ses espoirs ont été douchés.
Détention jusqu'en 2010
C'est en réalité plutôt l'inverse qui se produit. Dépassée par l'ampleur de la crise, la junte est plus crispée que jamais face à toute forme de critique, qu'elle provienne des milieux religieux bouddhistes, à l'origine de grandes manifestations l'automne dernier, ou de l'opposition démocratique muselée depuis des années. «La junte ne voudra pas la libérer alors qu'elle est dans une situation critique après le cyclone», indique Win Naing, un membre du LND, cité par The Irrawaddy News Magazine, un site d'information dissident basé en Thaïlande. Le principal allié de la junte birmane, la Chine, ne semble pas disposé à faire pression en faveur d'Aung San Suu Kyi même si des voix commencent, en Chine même, à s'interroger sur la nature de ce «pays ami» au regard de sa gestion calamiteuse du cyclone. Quant au secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, il a préféré éviter le sujet lors de sa récente rencontre avec le chef de la junte, le général Than Shwe, pour se concentrer sur le sort des victimes de Nargis.
L'ordre de détention qui est renouvelé chaque année arrivait à échéance mardi soir à 18h30. D'après la LND, l'article 10 (b) de la loi sur la protection de l'Etat précise que l'assignation à résidence ne peut pas s'étendre au-delà de cinq ans. Il est toutefois probable qu'Aung San Suu Kyi soit maintenue sous ce régime de détention au moins jusqu'en 2010, date des prochaines élections générales.
Quelques heures avant cette décision, 16 militants et sympathisants de la LND ont été emmenés par la police alors qu'ils s'apprêtaient à manifester pour marquer le 18e anniversaire de leur victoire électorale. Une trentaine de personnes, jeunes pour la plupart, venaient de quitter le siège du parti en demandant la libération d'Aung San Suu Kyi et l'ouverture du pays à l'aide internationale.
Lundi, le pouvoir birman a annoncé le résultat d'un référendum constitutionnel qui permettra aux généraux de pérenniser leur pouvoir: il a été approuvé par 92% des électeurs avec un taux de participation de 98%. Même un cyclone et ses 2,5 millions de victimes dont une majorité reste hors d'atteinte de l'aide humanitaire n'auront pas dissuadé la junte de faire le forcing pour imposer sous les apparences d'un vote une Constitution sur mesure. Le parti d'Aung San Suu Kyi a simplement qualifié cette manœuvre d'«imposture».