Interdire les prises d’étranglement, de tirer sur une voiture en mouvement ou encore obliger un policier d’avertir avant de faire feu: depuis que l’affaire Floyd embrase l’Amérique, les revendications pour réformer la police s’expriment avec vigueur. Notamment par l’organisation Campaign Zero qui, à travers #8cantwait et huit règles de base, estime que les violences policières pourraient être réduites de 70%. La campagne appelle les Américains à faire pression auprès des maires, et propose sur son site une sorte de monitoring des pratiques, ville par ville. New York, par exemple, n’appliquerait que quatre des huit consignes.

Lire aussi:  Des crevasses chez les républicains

Un homme à terre, inconscient

Samedi, jour de l’hommage à George Floyd en Caroline du Nord dont il était originaire, des manifestations pacifiques pour mettre fin aux brutalités policières anti-noires se sont à nouveau déroulées dans plusieurs villes américaines. Mais aussi à l’étranger. En France par exemple, près de 23 000 manifestants sont descendus dans les rues. A Washington notamment, des policiers et représentants des forces de l’ordre ont été vus en train de s’agenouiller, à la demande des manifestants.

Mais les protestations anti-violences policières et contre le racisme ont aussi donné lieu ces derniers jours à des dérapages et bavures de la part des forces de l’ordre. A Atlanta, deux jeunes Noirs ont été extirpés de force d’une voiture, ce qui a valu aux policiers responsables d’être suspendus. Une autre vidéo, tournée à Buffalo, dans l’Etat de New York, sème aussi depuis quelques jours un malaise profond. On y voit un homme blanc, âgé, se faire bousculer par des policiers. Il tombe, saigne rapidement de la tête, paraît inconscient, mais aucun policier ne vient à son secours.

Lire également:  James Nolan: «Les policiers américains se concentrent uniquement sur le combat»

Quelques jours après le drame de George Floyd, ce genre de scène, cette fois sans lien aucun avec le racisme, interpelle. Les deux policiers responsables ont été suspendus. «Les policiers doivent être des protecteurs, pas des guerriers», a déclaré Mark Poloncarz, le responsable du comté. Ailleurs, des policiers ont pris des journalistes pour cibles, avec des balles de caoutchouc, sans respecter la liberté de la presse, et alors même qu’ils se savaient filmés. Et puis, l’affaire Floyd est désormais devenue iconique, mais de nombreux autres drames restent peu visibles, moins médiatisés, et tout aussi graves. Dans le cas d’Ahmaud Arbery, Noir de 25 ans lynché par deux Blancs alors qu’il faisait son jogging dans une ville de Géorgie, les deux tueurs semblent avoir bénéficié d’une certaine impunité. Le père avait travaillé dans la police. Ce n’est que parce que la vidéo a été diffusée et est devenue virale qu’ils ont été arrêtés, trois mois après le lynchage.

Depuis la vague de colère suscitée par la mort de George Floyd et la révolte qui monte contre les forces de l’ordre, des chefs de police ont pris les devants. Celui de Seattle interdit le recours au gaz lacrymogène pendant trente jours. Du côté de Minneapolis, la ville où Floyd a été tué, le chef de la police a décidé d’interdire les prises d’étranglement. Celles qui ont valu à George Floyd en 2020 et à Eric Garner en 2014 de lâcher «je ne peux plus respirer», avant de mourir asphyxiés. Et le conseil municipal assure vouloir scanner le fonctionnement de la police en profondeur. A Los Angeles, le maire Eric Garcetti a pris une autre mesure: il a fait savoir que le budget de la police ne serait plus augmenté de 150 millions de dollars comme initialement prévu.

Campaign Zero est liée à des militants de Black Lives Matter, et rejoint des revendications du NAACP, organisation de défense des droits civiques des Afro-Américains. Barack Obama a récemment cité l’organisation en exemple, ainsi que Color of Change, dont le but principal est de remédier aux discriminations dont sont victimes les Afro-Américains. L’ancien président démocrate appelle lui-même à des réformes policières, dont celles recommandées par le groupe de travail qu’il avait mis sur pied après la mort de Michael Brown en 2014, et les émeutes qui ont eu lieu à Ferguson, dans le Missouri.

Ni badge ni identification

Il appelle notamment les maires des villes à mieux contrôler le recours à la force des policiers et à mettre sur pied une structure pour favoriser le dialogue avec les Afro-Américains. Le sénateur démocrate Chris Murphy dénonce de son côté, avec son collègue Chuck Schumer, le chef de la minorité démocrate au Sénat, les «forces de l’ordre» qui apparaissent sans badge ni identification, comme cela s’est notamment vu à Washington. Rien ne permet du coup de les distinguer de potentielles milices privées d’extrême droite.

Selon des études, les Noirs ont trois fois plus de risques d’être tués par la police aux Etats-Unis que les Blancs. Une solution serait-elle d’engager plus de policiers noirs? Jennifer Cobbina, professeure de justice pénale à l’Université d’Etat du Michigan, estime que cela ne changerait probablement pas grand-chose, et elle le dit au New York Times. Elle donne l’exemple de Baltimore. La police y est majoritairement noire mais le racisme n’y a pas vraiment diminué.

De nombreuses unités de police ont déjà décidé de recourir à des «bodycams», des caméras vidéo portées lors de toute intervention, pour éviter dérapages ou fausses accusations. Le policier responsable de la mort de George Floyd n’en portait pas. Mais il a maintenu son genou sur le cou de sa victime pendant 8 minutes et 46 secondes, alors que des collègues lui enjoignaient d’arrêter et que des passants le filmaient. Il est désormais accusé d’homicide volontaire et non plus involontaire. Là encore, la pression populaire a joué un rôle important.