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Les avocats français veulent des sanctions internationales

Les défenseurs des six Français détenus à Guantanamo seront reçus ce mardi par Dominique de Villepin. Ils réclament la saisine de la Cour internationale de justice.

Aux côtés de la Grande-Bretagne, de l'Australie et du Koweït, la France exige des réponses américaines sur le statut des quelque 660 prisonniers de Guantanamo. Dernier signe en date des exigences françaises: le rendez-vous accordé ce mardi par Dominique de Villepin aux quatre avocats des détenus français incarcérés sur la base navale américaine de l'île de Cuba, après leur capture, à l'automne 2001, en Afghanistan et au Pakistan. Lors de cet entretien, le ministre des Affaires étrangères fera connaître au bâtonnier de Paris, Paul-Albert Iweins et aux avocats Jean-Marc Florand, William Bourdon et Jacques Debray, les réponses du gouvernement à leur demande de saisine de la Cour internationale de justice (CIJ).

Le 15 octobre, les quatre défenseurs des six Français incarcérés – quatre d'entre eux sont identifiés: Mourad Benchellali, Nizar Sassi, Khaled Ben Moustapha et Ridouane Khalid. Les familles des deux autres tiennent à garder l'anonymat – ont demandé à l'Etat de saisir la CIJ face «à la violation persistante et manifeste des traités et des principes fondamentaux reconnus en droit international». Ils invoquent, à l'appui de leur demande, la violation par les Etats-Unis de la Convention de Vienne, dont l'article 36 porte sur la détention de ressortissants étrangers et celle du traité d'entraide judiciaire entre la France et les Etats-Unis. «Nous demandons que cesse l'exception juridique de Guantanamo, confirme au Temps Paul-Albert Iweins, qui a pris l'initiative d'une pétition internationale d'avocats. Refuser aux détenus de communiquer les charges retenues contre eux et leur interdire l'accès à un avocat est une violation incontestable du droit.»

L'initiative des avocats français n'est pas une démarche isolée. Depuis plusieurs mois, de sérieux remous agitent la communauté judiciaire internationale. Les avocats des familles de 12 détenus koweïtiens, de deux Britanniques et de deux Australiens ont ainsi obtenu, le lundi 10 novembre, que la Cour suprême des Etats-Unis examine leurs recours. La plus haute instance judiciaire américaine devrait, en juin ou juillet 2004, se prononcer sur le statut de la base navale que les tribunaux ordinaires – notamment la Cour d'appel du district de Columbia (Washington) et un tribunal de Los Angelès – ont jusque-là toujours considéré comme hors de leur juridiction, car installée sur sol étranger.

Le fait que la Cour suprême accepte de s'emparer du dossier est une première brèche affirme Paul-Albert Iweins: «Les juges de la Cour se déconsidéreront s'ils n'autorisent pas les tribunaux américains à se saisir enfin des plaintes des détenus de Guantanamo. Mais je ne suis pas optimiste: durant la Seconde Guerre mondiale, les Américains d'origine japonaise ont aussi été incarcérés sans recours.» De fait, l'avocat général des Etats-Unis (sollicitor), Théodore Olson, a lui-même demandé à la Cour de rejeter l'appel des familles, insistant sur le fait que des prisonniers détenus à l'étranger par des autorités militaires doivent être jugés par les seuls tribunaux de l'armée.

«Monstrueuse défaillance de la justice»

La rébellion des défenseurs des détenus de la base cubaine a aussi fait irruption dans les médias. Le 28 novembre, l'un des 12 juges britanniques les plus importants, lord Johan Steyn, s'est fendu d'un texte sans appel dans les colonnes de l'International Herald Tribune: «La manière dont les prisonniers de Guantanamo ont été traités n'est pas connue publiquement, assène-t-il. Mais ce que nous savons n'est pas rassurant. Le maintien des détenus sur cette base est destiné avant tout à les garder hors de portée du droit.» Sa conclusion tombe comme un couperet pour l'administration Bush qui ne cesse de mettre en avant sa guerre contre le terrorisme: «En tant qu'avocat éduqué dans le respect des idéaux américains de justice et de démocratie, tout ceci est pour moi une monstrueuse défaillance de la justice.»

Convaincus que seules les pressions internationales peuvent amener la Maison-Blanche et l'Attorney General (ministre de la Défense) John Ashcroft à ouvrir enfin les portes de Guantanamo, les avocats français poursuivent, parallèlement à leurs recours, un travail de lobbying. En tant que bâtonnier de Paris, Paul-Albert Iweins a lancé une pétition auprès des barreaux des 42 pays qui ont des ressortissants sur la base navale. Il a déjà reçu les signatures de nombreux confrères britanniques et espagnols. Me William Bourdon travaille dans la même direction: «Nous avons, en tant qu'avocats, un devoir d'indignation, confirme-t-il. Nous réfléchissons à une initiative au niveau européen. Nous ne devons pas oublier, non plus, les avocats américains qui se battent.»

Les avocats français veulent aussi que les Nations unies soient de la partie. Ils travaillent en lien étroit avec l'ancien magistrat Louis Joinet, président du groupe de travail sur la détention arbitraire de l'ONU. Dans un avis du 8 mai, les rapporteurs du groupe soulignaient déjà «l'absence de toute base légale» qui pourrait justifier l'emprisonnement des détenus français.