Les avocats de Roland Dumas contre-attaquent en dénonçant un «traquenard judiciaire»
AFFAIRE ELF
Au lendemain d'un réquisitoire au vitriol contre sept prévenus de haut vol, dont l'ancien ministre socialiste des Affaires étrangères, la défense a entamé mardi ses plaidoiries à Paris, en concentrant le tir sur les incohérences de l'accusation
Comment Roland Dumas, ancien résistant, ancien avocat, ancien ministre, ancien président du Conseil constitutionnel et intime de François Mitterrand, a-t-il passé la nuit de lundi à mardi? En méditant sans doute sur la Roche Tarpéïenne, si proche du Capitole. Et sur la grandeur et la décadence de sa propre carrière, à la fois étincelante et calamiteuse. Car, comme pour ses coaccusés (avant tout Loïk Le Floch-Prigent, Alfred Sirven et Christine Deviers-Joncour), l'audience de la XIe Chambre, lundi, fut rude pour la figure de proue de ce procès emblématique des «affaires» de la Ve République, version socialiste. Dans un réquisitoire ne ménageant personne, le substitut du procureur de la République de Paris, Jean-Pierre Champrenault, réclamait pas moins de 2 ans de prison ferme contre l'ancien ministre, assortis d'une amende de 2,5 millions de francs. Une peine assortie de 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille. Au surplus, Roland Dumas ne pourra pas exercer de fonction publique.
Le couperet du procureur s'est aussi abattu sur Loïk Le Floch-Prigent et Alfred Sirven: 5 ans de prison et 2,5 millions de francs d'amende. Christine Deviers-Joncour: 3 ans, dont un avec sursis.
Face aux cinq prévenus, de plus en plus déconfits sur leur banc d'infamie, le magistrat s'est employé, patiemment, à débusquer, derrière leurs mensonges, derrière leur «Je ne savais pas» ou leur mutisme (Sirven), ce qu'il regarde comme la réalité des faits: l'emploi manifestement fictif dont a joui Mme Deviers-Joncour, assorti de nombreux avantages; le versement de deux montants, 14 et 45 millions de FF, sur un compte suisse; les pressions de Roland Dumas en faveur de la jeune femme en échange de la nomination de Le Floch-Prigent à la tête d'Elf; le nid d'amour que fut l'appartement de la rue de Lille, un moyen, pour Alfred Sirven de faire de Roland Dumas son obligé.
Le procureur Champrenault n'aura ménagé ni Roland Dumas, à qui il refuse l'ignorance des sommes imposantes et suspectes reçues par son amie, ni Loïk Le Floch-Prigent, accusé d'avoir trahi sa mission, ni Alfred Sirven d'avoir fait d'Elf un «symbole d'affairisme, de clientélisme et de corruption». «Vous avez réuni, a-t-il enfin lancé à Roland Dumas, les trois pouvoirs qui assurent notre démocratie. Comment avez-vous pu prêter le serment d'un président de Conseil constitutionnel?»
«Saucissonnage»
Au lendemain de cette attaque en règle, les avocats de la défense ont concentré, mardi, leur tir sur les incohérences de l'accusation. «Absence de preuve», «Dossier vide» ont plaidé les avocats de Loïk Le Floch-Prigent, Mes Metzner et Weil, en dénonçant dans la «brutalité du réquisitoire, un traquenard judiciaire». Dans la colère non feinte des avocats plane en fait l'autre enjeu de ce procès: son «saucissonnage». L'affaire des versements à Christine Deviers-Joncour, de l'appartement, des bottines de luxe, du tableau, des statuettes, autant de composantes «glamour» de l'affaire qui dissimulent une autre affaire: celle des vedettes vendues à Taïwan. Autre dossier, qui lié à celui-ci, risquerait – par la mise en cause de l'ex-ministre Dumas – de déplacer la cause vers un autre tribunal: la Haute Cour de justice. Et donc de faire traîner les choses des années encore.