Avraham Burg: «Nous avons besoin de refonder le système israélien»
Proche-Orient Pour l’ancien président du parlement israélien, le cœur du débat concerne l’égalité à accorder à tous les citoyens
Depuis des décennies, Avraham Burg est au cœur de la vie politique israélienne. Cofondateur du mouvement La Paix Maintenant, conseiller de Shimon Peres, président de l’Agence juive, membre, puis président du parlement israélien, l’homme s’est néanmoins distancié depuis quelques années de la classe politique, et ses déclarations détonnent souvent dans le paysage israélien. Il passait par Genève dans le cadre du Festival du film sur les droits humains (FIFDH).
Le Temps: Le premier ministre, Benyamin Netanyahou, était mardi devant le Congrès américain pour brandir la menace d’un accord avec l’Iran sur le nucléaire. Qu’en pensez-vous?
Avraham Burg: A court terme, pour lui, cette prestation peut se transformer en très gros succès politique ou en une démonstration de parfait cynisme politique, qui lui portera ombrage sur le plan électoral. Mais je vois surtout des effets à plus long terme. Netanyahou se range aux côtés du Parti républicain, et plus précisément de son aile liée au Tea Party. C’est courir le risque de faire du soutien à Israël une question partisane aux Etats-Unis. Et, du point de vue personnel, il fait aussi un pari risqué sur un retour prochain des républicains à la Maison-Blanche…
– Vous avez semblé pendant des années en rupture de ban avec le monde politique israélien. Pourtant, vous êtes de retour…
– Je suis parti de la Knesset (le parlement) il y a une dizaine d’années, avec le sentiment que je pouvais continuer ma carrière politique, mais que je n’avais plus de cause à défendre. J’ai mis ce temps à profit pour approfondir ma réflexion. J’ai écrit cinq livres, animé trois blogs et je reviens, non pas comme candidat aux élections mais avec des paradigmes inédits dans la vie politique israélienne, que je vais tâcher de défendre.
– Quels sont ces paradigmes?
– A mon avis, toute pensée progressiste doit aujourd’hui basculer de la priorité nationale à celle des droits civiques, elle doit abandonner la défense des intérêts pour se consacrer aux droits des citoyens. Au sein de la société israélienne, et en laissant pour l’instant de côté la question palestinienne, l’égalité de tous doit être au centre. Riches et pauvres, juifs ou Arabes, il faut mettre fin aux privilèges qui minent la société dans un système politique devenu lui-même complètement dysfonctionnel.
– Benyamin Netanyahou ne cesse de revendiquer le droit d’Israël à devenir un «Etat juif». Qu’en dites-vous?
– Je ne crois pas à une démocratie ethnique. Encore une fois, le seul moyen, c’est d’organiser un Etat qui accorde des droits identiques, sur tous les plans, à l’ensemble de ses citoyens.
– Israël va-t-il dans cette direction?
– Dans un système qui est cassé, les gens ont tendance à se réfugier dans les extrêmes, parfois bien au-delà de l’acceptable. Mais je vois des signes positifs. Ainsi, les candidats arabes à la Knesset veulent dépasser leur origine ethnique et affichent leur volonté d’asseoir la démocratie sur de nouvelles bases pour l’ensemble des Israéliens. C’est encourageant. De la même manière, dans le débat à propos de l’existence d’un seul Etat (réunissant Israéliens et Palestiniens, ndlr), je vois apparaître des convergences étonnantes entre la gauche et l’extrême droite…
– Etes-vous favorable, vous-même, à la solution d’un seul Etat?
– Mais nous y sommes! De fait, un seul Etat existe, mais cette situation est mauvaise. A mon avis, malgré les colonies, il est encore possible de revenir à la coexistence de deux Etats. Mais à choisir, je préfère la solution d’un Etat qui fonctionne à celle d’un seul, ou de deux, qui ne marcherait pas.
– Autour d’Israël, le Proche-Orient est à feu et à sang. C’est un moment à grands risques?
– Oui, c’est terrifiant. Mais chaque situation de risque comporte aussi des chances. Vous imaginez l’aubaine pour Israël de pouvoir se trouver aux côtés des Palestiniens, de la Jordanie, ou de l’Egypte et de l’Arabie saoudite, face aux fanatismes? Mais cette perspective éventuelle aurait un prix pour tous. Pour les Palestiniens, pour les Egyptiens, pour les Saoudiens. Israël aurait aussi son ticket d’entrée à payer. Cela passerait notamment par l’initiative qu’avait formulée en son temps l’Arabie saoudite, et qui postule une paix durable avec les Palestiniens en échange de la reconnaissance de l’Etat israélien par le monde arabe.