Le blocus militaire contre le camp des manifestants antigouvernementaux des «chemises rouges», dans le centre de Bangkok, s’avère efficace. Beaucoup de manifestants ont plié bagage dimanche, après avoir reçu la «permission» des leaders du mouvement de contestation de rentrer chez eux, en province. «En ce qui concerne la nourriture, ce n’est pas un problème, nous avons des stocks. Mais nous sommes vraiment touchés par le blocus, car personne ne peut nous rejoindre», explique Kopkeo Pikulthong, un des leaders.

Convois d’autocars

Entassées à l’arrière de véhicules utilitaires, des familles sur le départ distribuent ce qu’il leur reste en nourriture et en boisson aux plus tenaces. Des ONG organisent des convois d’autocars pour faciliter le retour. De nombreuses femmes avec leurs enfants se sont réfugiées dans une pagode bouddhique proche du camp.

Parallèlement, les leaders du mouvement de contestation ont légèrement assoupli leur position en affirmant qu’ils retourneraient à la table des négociations, si les militaires arrêtaient de «tirer sur le peuple». Ils ne font plus mention d’une exigence de démission du premier ministre Abhisit Vejjajiva ou même d’une procédure judiciaire contre le vice premier ministre Suthep Taugsuban en charge de la sécurité. Toutefois, leur demande d’une médiation des Nations unies pour faciliter une solution de la crise a provoqué la réaction attendue du gouvernement. «La Thaïlande est un pays souverain. Il n’est pas acceptable que les Nations unies interfèrent dans les affaires intérieures de la Thaïlande», a indiqué le porte-parole du gouvernement, Panitan Wattanayakorn.

Victoire à la Pyrrhus

Le gouvernement se sent en position de force. Il exige désormais que tous les leaders des «rouges» se livrent à la police et qu’ils stoppent leur mouvement de protestation. Mais il pourrait s’agir d’une victoire à la Pyrrhus: depuis jeudi, les affrontements entre manifestants et militaires ont tué 33 personnes, toutes civiles, et blessé 239 autres. Le gouvernement accuse des «terroristes» d’être responsables de la plupart des violences, tout en reconnaissant que des militaires ont pu «sans en avoir l’intention» blesser ou tuer des civils en tirant des balles réelles. Dans les deux derniers mois, des dizaines de grenades ont de fait été lancées contre des postes militaires ou de police. Mais, quoi qu’il en soit, le lourd bilan ne peut manquer d’entacher sérieusement l’image du gouvernement aux yeux de nombreux Thaïlandais. «Le premier ministre Abhisit aurait dû immédiatement démissionner après les affrontements du 10 avril [ndlr: qui avaient tué 21 manifestants et 4 militaires]», estime le politologue Chaiwat Khamchoo.

En outre, les raisons profondes de la crise demeurent: le fossé culturel, social, éducatif et économique qui sépare les classes modestes de province de l’élite bangkokoise. Le premier ministre Abhisit Vejjajiva a proposé de prendre une série de mesures pour réduire ces écarts, mais ces efforts sont tardifs.

Après la crise économique de 1997, le gouvernement dirigé par le Parti démocrate d’Abhisit avait dépensé des milliards de francs pour renflouer les banques et les sociétés financières, sans rien faire pour les familles de province, lesquelles avaient permis l’amortissement du choc (en prenant en charge les membres de leur famille licenciés de leur emploi à Bangkok). «Si vous dites aux classes moyennes supérieures de Bangkok qu’elles doivent absorber les paysans, elles vont vous répondre qu’elles le font depuis des décennies en les faisant travailler dans leurs usines. Mais pour les intégrer à l’économie moderne, elles doivent leur donner un meilleur salaire pour leur permettre d’éduquer leurs enfants. Mais ces classes supérieures veulent juste avoir une main-d’œuvre bon marché. C’est une question de pouvoir politique», explique l’historien Nidhi Eoseewong.

Un «nouveau contrat social»

La Thaïlande est en quête d’un nouveau «contrat social», qui permette une transformation du pays assurant de meilleurs équilibres tout en étant acceptable par l’élite minoritaire. La longue crise politique a tellement attisé les tensions, aboutissant à une extrême polarisation de la société – y compris au sein des familles –, qu’il est particulièrement difficile pour les protagonistes de négocier dans la sérénité ce nouveau consensus. D’autant plus que le champ politique s’est élargi. «La politique en Thaïlande s’est toujours limitée à des jeux de pouvoir au sein d’un petit groupe de gens au sommet de la hiérarchie sociale, affirme l’historien. Mais cela est en train de changer.»