Dans le port de Chittagong, les containers s’empilent comme des morceaux de sucre colorés. Des navires par dizaines se pressent dans l’estuaire de la Karnaphuli, le fleuve qui enlace la capitale économique du Bangladesh avant de se jeter dans le golfe du Bengale.
Le spectacle est une ode à l’activité portuaire. Et le nouveau terminal à conteneurs, le NCT (New Mooring Container Terminal), est impeccable, avec une extension de cinq jetées. C’est l’œuvre de la compagnie China Harbour, dans un contexte où la Chine multiplie ses contributions au développement du Bangladesh. Non loin, sur le fleuve, un pont à quatre voies de 950 mètres a été construit par l’entreprise China Major. Défiant les bidonvilles et les barques en bois des pêcheurs, le pont majestueux est, à Chittagong, le symbole de la modernité.
Prêts bonifiés
Au Bangladesh, les constructions chinoises ne passent plus inaperçues. En octobre, une nouvelle délégation chinoise concluait des accords et proposait des prêts bonifiés, pour une station d’épuration des eaux, une centrale électrique dans le secteur privé, et un aéroport international à Cox’s Bazar.
Port en eaux profondes
Surtout, la Chine porte le projet spectaculaire de la construction d’un port en eaux profondes, dans l’île de Sonodia, estimé à plus de 5 milliards de dollars. Il y a encore la construction d’un tunnel sous le fleuve à Chittagong, une autoroute Chine-Bangladesh via la Birmanie, et le projet d’un parc industriel. «La Chine nous soutient dans de gros ouvrages, commente Raisul Haq Bahar, le rédacteur en chef du Daily Star à Chittagong. Ils fournissent un savoir-faire, des équipes, des facilités financières ou des investissements technologiques.» Pour l’ex-ministre du Commerce Amir Khasru Mahmud Chowdhury, et leader régional du Parti national du Bangladesh (BNP), «les Chinois développent une véritable stratégie en anticipant sur les trente prochaines années. Ils vendent leur pays, leurs produits, leurs services. Pendant que les Occidentaux arpentent les dîners à Dacca, les Chinois sont au travail. Ils ne tarderont pas à être la première économie mondiale, ce qui ne laisse pas indifférent un pays comme le Bangladesh.»
Aujourd’hui, l’empreinte chinoise, centrée sur le secteur stratégique des transports, est présente au Bangladesh mais aussi au Népal, au Bhoutan, en Birmanie, au Sri Lanka et au Pakistan. Autant de pays qui entourent… l’Inde. Dans une région qui lui était naturellement acquise, l’Inde a été prompte à soupçonner l’expansion chinoise de cacher une stratégie d’«encerclement». Une âpre lutte d’influence entre les deux géants asiatiques est certes à l’œuvre. «Et dans son approche de la Chine, l’Inde s’est alignée sur les vues américaines», ajoute Amir Khasru Mahmud Chowdhury.
Au-delà, il existe une certaine méfiance des «petits» pays du sous-continent envers leur grand frère indien, auquel sont reprochés ses airs dominateurs. «Les Indiens ne nous offrent aucun accord intéressant», critique ainsi un ancien membre du gouvernement bangladais. L’alternative chinoise peut alors sembler plus séduisante. Tant et si bien que l’Inde est en train de revoir sa copie pour devenir plus pragmatique. Salman Khurshid, le ministre indien des Affaires étrangères, l’a reconnu la semaine dernière: «New Delhi devra accepter la nouvelle réalité de la présence chinoise dans de nombreux domaines considérés comme la chasse gardée exclusive de l’Inde.»
«Remplacer Singapour!»
A l’évidence, les apports chinois favorisent les installations liées au transport maritime. A Chittagong, où la Chine collabore, les ambitions sont grandes. «Notre idée, c’est de remplacer le port de Singapour!» souffle le lieutenant-colonel Moazzem Hossain, directeur sécuritaire des Autorités portuaires. Cet été, il a même visité les ports du Havre et de Hambourg, pour prendre des notes. «Très propres, très ordonnés, applaudit-il. Mais notre port de Chittagong est en cours de modernisation et il devient incontournable en Asie du Sud.» 90% de l’import-export du Bangladesh transite sur ses quais, et notamment le textile en partance pour l’Europe et les Etats-Unis.
L’appétit chinois pour les projets portuaires s’étend jusqu’à Sittwe en Birmanie, avec un projet de gazoduc reliant le port à la Chine, puis au port flambant neuf d’Hambantota au Sri Lanka, dont la construction a débuté en pleine guerre, quand la Chine fournissait des armes à Colombo.
Aux Maldives, les projets n’ont pas abouti mais une ambassade chinoise a été ouverte à Male en 2011. Enfin, le Pakistan a commissionné une entreprise chinoise dans la construction de son port de Gwadar, sur la mer d’Arabie. Un pied dans chaque port: c’est la fameuse théorie du «collier de perles», qui consisterait pour la Chine à bénéficier de droits d’escale permanents et à sécuriser ses voies maritimes d’approvisionnement pétrolier jusqu’au Moyen-Orient, tout en affirmant sa présence commerciale. Pour l’heure, au Bangladesh, la contribution chinoise est indéniablement positive, porteuse de dynamisme et de grands espoirs de développement