«Tout le monde attend les militaires français, mais pour l’instant on ne voit rien.» Marie-Agathe, une maman du quartier Lakouanga, résume en peu de mots l’impatience et l’anxiété de bon nombre de ses concitoyens. Depuis que les autorités françaises ont publiquement annoncé leur intention de porter à plus d’un millier d’hommes le nombre de leurs soldats en Centrafrique (600 soldats déjà présents depuis 2002), Bangui se plaît à espérer une fin rapide de son calvaire, persuadé que l’intervention des soldats de l’ancienne puissance coloniale dans les rues de la capitale mettra un terme aux exactions des anciens rebelles de la Séléka («l’alliance» en sango, la langue nationale) au pouvoir depuis le 24 mars.

Cette opération française qui, selon une source digne de foi, devrait s’intituler «Sangaris», du nom d’un papillon rouge sang vivant dans les forêts centrafricaines, intervient alors que la RCA ne cesse de s’enfoncer dans la crise et que le pouvoir a perdu toute maîtrise de la situation. La semaine passée, des milices d’autodéfense qui combattent la Séléka ont lancé une attaque à une cinquantaine de kilomètres de la capitale.

Une semaine plus tôt, un magistrat, Modeste-Martineau Bria, a été abattu dans les rues de Bangui. ­Signe de la tension ambiante, un couvre-feu a été réinstauré et les autorités ont annulé à la dernière minute le défilé qui devait marquer, dimanche, le 53e anniversaire de l’indépendance du pays. «Tant mieux. [Le président autoproclamé] Michel Djotodia pouvait légitimement craindre un attentat ou des troubles», relève un invité, soulagé de ne pas avoir eu à s’exposer dans la tribune officielle. La Centrafrique bruisse de rumeurs de coup d’Etat, de tentatives de révolution de palais, qui, à en croire plusieurs observateurs avertis du pays, ne seraient pas toutes infondées.

Quoi qu’il en soit, à mesure que son impopularité et celle de son gouvernement s’accroissent, l’ancien chef rebelle chargé de conduire le pays à des élections prévues en février 2015 s’enferme chaque jour un peu plus dans sa forteresse du camp de Roux, située sur une colline de la capitale. Ses sorties dans la ville se font sous escorte d’une douzaine de pick-up chargés de combattants. Plusieurs de ses visiteurs réguliers le décrivent inquiet, otage de ses «généraux», qui l’ont fait roi et peuvent le déposer à tout moment, ou bien encore persuadé que le dessein caché de l’intervention militaire française est de le chasser du pouvoir. Paris a beau promettre que l’opération «Barracuda» destinée à renverser l’empereur Bokassa Ier en 1979 appartient à un autre temps, en Centrafrique, l’histoire pèse de tout son poids.

L’opération de rétablissement de l’ordre devrait être menée conjointement par les armées française et africaines après le vote d’une nouvelle résolution des Nations unies prévu ce jeudi. A Bangui, sur un strict plan militaire, elle ne devrait pas connaître de grandes difficultés dans un premier temps. L’objectif annoncé est de pousser les anciens rebelles à regagner les casernes et à désarmer, y compris par la force, ceux qui s’y opposeront. «Nous allons mener une action forte de deux à quatre jours pour qu’ils comprennent que la récréation est terminée. Ils ont encore le choix, mais leur marge de manœuvre est étroite. Il faut que ces voyous dégagent le plancher», avance un officier africain, n’hésitant pas à pointer du doigt les principaux généraux autoproclamés de la Séléka comme les commanditaires des meurtres et de la mise à sac du pays.

Dans les faits, l’annonce du renforcement des effectifs militaires français a commencé à produire quelques effets sur le terrain. Selon des sources diplomatiques et humanitaires, par crainte de se retrouver confrontés à une puissance de feu bien supérieure à la leur, des combattants de l’ancienne rébellion ont commencé à plier bagage et à remonter vers le nord du pays. Certains cadres du mouvement, préoccupés par leur avenir judiciaire, envisagent aussi de fuir à l’étranger.

Si, dans leur immense majorité, les habitants de la capitale ne cachent pas leur espoir de se voir débarrassés de ceux qu’ils identifient comme la principale cause de leur malheur, des risques réels de dérapages existent. L’essentiel de la troupe de la Séléka étant composé de musulmans du nord du pays, mais aussi de nombreux mercenaires tchadiens et soudanais, la communauté islamique de Bangui craint de faire les frais des amalgames. Dans les quartiers, des menaces de vengeance se font entendre.

Les leaders catholiques, protestants et musulmans tentent d’apaiser les tensions, mais l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, admet que son «autorité morale ne sera peut-être pas suffisante pour faire tenir la digue auprès des siens». «Des jeunes, dit-il, promettent, après ce qu’ils ont subi, d’aller se rendre justice par eux-mêmes. Ce serait alors une hécatombe et le chaos.»

«Nous allons mener une action forte pour qu’ils comprennent que la récréation est terminée»