Trois salves d’applaudissements des parlementaires turcs, réunis lundi à Ankara pour entendre Barack Obama: la première, lorsque le président a signifié le soutien des Américains à la lutte contre les séparatistes kurdes du PKK. La seconde, quand il a affirmé que «les Etats-Unis ne sont pas en guerre contre l’islam». La dernière, enfin, lorsque Obama a rappelé le désir de l’Amérique que la Turquie rejoigne l’Union européenne. Les Etats-Unis venaient de confirmer la Turquie dans son rôle incontestable de puissance régionale.

Comme le rappelle Omer Taspinar, chercheur à la Brookings Institution de Washington, le voyage d’Obama, dans la foulée d’une semaine de tournée en Europe, constitue seulement la deuxième visite bilatérale du nouveau président (la première fut pour le Canada). «C’est un grand honneur pour la Turquie.» D’autant que ce pays «cherche avant tout le respect des Etats-Unis».

Ajoutée in extremis au programme initial, l’étape turque visait autant à répéter l’importance que revêt cet allié stratégique qu’à souligner la volonté du président américain de réconcilier son pays avec les musulmans. «La relation de l’Amérique avec le monde musulman ne peut pas être uniquement basée sur une opposition à Al-Qaida. Nous cherchons un engagement plus large, basé sur nos intérêts et le respect mutuel», a affirmé le président au cours d’un discours qui était retransmis en direct par les grandes chaînes de télévision satellite arabes. Barack Obama a rappelé que sa propre famille comptait des membres musulmans, un thème qu’il n’aborde pas fréquemment à l’intérieur des Etats-Unis depuis qu’il lui avait valu de nombreuses attaques lors de la campagne électorale.

Pendant plusieurs semaines, l’administration a hésité sur le lieu qu’il fallait choisir afin de délivrer ce message, qui reprend les thèmes déjà évoqués par le président dans son discours d’investiture. La Turquie a finalement été préférée au Caire ou à Djakarta en raison, précisément, de l’importance qu’attache Washington au seul membre musulman de l’Alliance atlantique. «La Turquie n’est pas le lieu qui divise l’Europe et le monde musulman, mais l’endroit où ils se rejoignent.»

Mais la Turquie, c’est aussi le voisin de l’Iran et de la Syrie, deux pays qui (avec le conflit israélo-palestinien en toile de fond) sont au cœur des préoccupations américaines dans la région. Après s’être un peu refroidies suite à l’invasion américaine de l’Irak, les relations entre les deux pays se sont largement renforcées, grâce notamment au soutien qu’apportent les Etats-Unis à la Turquie dans sa lutte contre les Kurdes du PKK. «Il n’y a aucune excuse pour le terrorisme, dans aucune nation», a martelé Barack Obama, en soulignant toutefois qu’Ankara devait renforcer ses contacts avec «les leaders kurdes» et miser notamment sur «l’éducation».

Les Etats-Unis ont toujours considéré la Turquie comme l’un de leurs principaux alliés. Mais Barack Obama a encore davantage besoin de ce pays. Pour que le Kurdistan irakien ne s’embrase pas après le départ des troupes américaines; pour jouer un rôle d’intermédiaire avec l’Iran; pour obtenir la confiance des Syriens en vue d’un éventuel rapprochement avec Israël. A Washington, la cause de la Turquie est cependant difficile à défendre, en raison notamment de l’importance des communautés arménienne et grecque, et du lobbying qu’exercent leurs associations.

La promesse date de 2008, en pleine campagne électorale: «Le génocide arménien, disait alors le candidat Obama, n’est pas une allégation, une opinion personnelle ou un point de vue. C’est un fait historique largement documenté et confirmé. Les Etats-Unis méritent un président qui dit la vérité sur le génocide arménien et qui répond avec force à tous les génocides. J’ai l’intention d’être ce président.»

Lundi, à Ankara, le président Obama n’a pas prononcé le terme de «génocide», mais plutôt la formule consacrée des «terribles événements de 1915». «Nous devons être honnêtes, ouverts et constructifs», a-t-il demandé aux députés en insistant sur la nécessité pour Ankara de normaliser ses relations avec l’Arménie. Traditionnellement, c’est le 24 avril, le jour du Souvenir pour les Arméniens, que le débat ressurgit aux Etats-Unis. Barack Obama a promis ce jour-là d’évoquer «le génocide». A Washington, la Chambre des représentants menace aussi, à nouveau, de faire la même reconnaissance. Pour Barack Obama, le temps presse: si d’ici là, la Turquie n’a pas fait un geste en direction de l’Arménie, il pourrait être contraint de respecter sa promesse. La lune de miel avec les héritiers de la Sublime Porte serait alors rapidement terminée.