Face à un pays qui ne s’est plus senti aussi vulnérable face au terrorisme depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, Barack Obama devait rassurer les Américains. Dimanche soir, aux heures de grande écoute et quelques jours seulement après la tuerie de San Bernardino, où un couple radicalisé a massacré quatorze personnes et blessé vingt et une autres, il s’est adressé à la nation depuis le Bureau ovale. Illustration de l’importance attachée au discours, ce n’est que la troisième fois qu’il prononce une allocution de ce type dont l’une concernait la marée noire du golfe du Mexique et l’autre la fin de la mission de combat des troupes américaines en Irak.
Reprendre le contrôle
Pour le président démocrate dont seuls 38% des Américains approuvent la politique contre le terrorisme, l’enjeu était considérable. Il était question de reprendre le contrôle du narratif relatif à la lutte contre les djihadistes de l’Etat islamique (EI). Jusqu’ici, ce sont avant tout les candidats à la présidentielle 2016 qui l’ont monopolisé, en particulier des républicains comme Donald Trump, Ted Cruz ou encore Marco Rubio.
A ce titre, Barack Obama a en partie atteint son objectif, montrant une détermination de venir à bout de l’EI qu’on n’avait que rarement vue par le passé. L’Etat islamique est «un cancer pour lequel il n’y a pas de traitement immédiat», a-t-il toutefois souligné. Il a rapidement qualifié la fusillade du 2 décembre dernier dans un centre social de San Bernardino au sud de Los Angeles d’«acte terroriste».
L’insécurité s’immisce aux Etats-Unis
Même si les républicains avaient rapidement tiré leurs propres conclusions, le chef de la Maison-Blanche a attendu les premières analyses du FBI. Il a voulu se faire une idée précise de ce qui a poussé un jeune Américain de 28 ans, de parents pakistanais, en apparence bien intégré dans sa communauté et doté d’un bon travail, et son épouse de 27 ans, Pakistanaise arrivée aux Etats-Unis en 2014 en provenance de l’Arabie saoudite, à causer un tel carnage.
Un peu plus de deux semaines après les attentats de Paris, la tragédie de San Bernardino a instillé un sentiment d’insécurité outre-Atlantique qui n’a plus été vu depuis le 11 septembre 2001. Le FBI a établi un lien entre la citoyenne pakistanaise, devenu très religieuse ces dernières années, avec l’EI. Sur un compte Facebook, Tashfeen Malik a prêté allégeance au «caliphe», le leader de l’organisation terroriste Abou Bakr al-Baghdadi peu avant de passer à l’acte. Son mari Syed Rizwan Farook avait eu plusieurs contacts avec des extrémistes présumés affiliés aux Shebab ou au Front Al-Nosra et était sous enquête du FBI.
Traquer tous les terroristes
Sous pression de l’opinion publique déstabilisée par ce qui constitue le premier attentat perpétré aux Etats-Unis en lien avec l’EI et le plus meurtrier depuis le 11 septembre 2001, Barack Obama a senti le besoin de clarifier ce que son administration entreprenait pour «détruire l’Etat islamique». Il a expliqué que l’armée américaine s’appliquait à poursuivre tous les terroristes à travers le monde, en particulier en Irak et en Syrie.
Depuis les attentats de Paris, l’action militaire en Syrie et en Irak a été renforcée grâce à l’aide de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. Des forces spéciales américaines continuent de former des troupes locales, l’armée irakienne et les peshmergas kurdes pour vaincre Daech, l’acronyme arabe de l’EI. Le président a voulu aussi combler ce qui apparaît comme le principal défi posé désormais par l’Etat islamique: un échange beaucoup plus rapide et substantiel de renseignements entre alliés afin de déjouer des tentatives d’attentats.
Règlement politique de la crise syrienne
Barack Obama a néanmoins mis en garde: les renseignements américains ne seront pas à même d’identifier tous les tueurs de masse, mais l’Amérique peut leur rendre la tâche beaucoup plus difficile. Il a appelé en ce sens à un durcissement du contrôle des armes. Dans des interviews livrées ces derniers jours, il avait sèchement dénoncé l’attitude des républicains, relevant ironiquement que des terroristes fichés sur des listes d’interdiction de vol ne pouvaient pas prendre d’avion, mais pouvaient se procurer sans problème des fusils d’assaut aux Etats-Unis.
Le président démocrate a aussi rappelé la nécessité d’aboutir à un règlement politique de la crise syrienne en appliquant le plan en huit points adopté à Vienne qui prône l’instauration d’un cessez-le-feu et la mise en œuvre d’une transition politique qui devrait écarter progressivement le président syrien Bachar el-Assad du pouvoir.
Renforcement de la surveillance électronique
Pour répondre à ceux qui estiment que la terroriste présumée Tashfeen Malik n’a pas subi des tests d’immigration suffisamment concluants pour entrer aux Etats-Unis, Barack Obama a voulu rassurer les Américains. Le régime d’entrée aux Etats-Unis sans visa accordé à de nombreux pays, notamment européens, sera durci. Les personnes ayant voyagé notamment en Irak et en Syrie devraient avoir l’obligation de demander un visa.
La surveillance électronique sera renforcée pour faire face à une organisation terroriste très au fait des nouvelles technologies et des médias sociaux. Là, l’administration démocrate a un temps de retard, n’ayant pas mis des moyens suffisants pour contrer le savoir-faire médiatique et technologique impressionnant de l’Etat islamique.
L’arsenal de mesures mentionné dimanche soir par le président n’est pas nouveau, même s’il est renforcé. Mais le président se devait de l’expliciter. Jusqu’ici, même si les frappes américaines ont permis des progrès sur le terrain, notamment la reprise de la ville de Sinjar, en Irak, la Maison-Blanche a mal mesuré le degré d’anxiété de la société américaine et mal communiqué. Nombre d’Américains ont ainsi eu l’impression que la Russie en faisait bien davantage pour combattre l’EI, alors que la réalité est toute différente.
Pas de troupes terrestres en Syrie
Ce déficit a accentué le sentiment d’insécurité. L’exercice de dimanche devrait en ce sens aider à montrer que l’administration démocrate suit de près la montée de l’Etat islamique. Cela n’a manifestement pas toujours été le cas. Barack Obama avait eu des propos malheureux voici quelque temps en qualifiant les premiers soubresauts des djihadistes de l’EI d’actions dignes d’une «JV team», une équipe B dans le jargon sportif outre-Atlantique.
Du Bureau ovale, le président américain a aussi précisé ce que son administration n’allait pas entreprendre. Il est hors de question d’envoyer en masse des troupes terrestres en Irak et en Syrie. «C’est exactement ce que veut l’EI», selon Barack Obama, qui a ajouté qu’une telle occupation ne ferait que servir la cause de l’EI et l’aider à recruter de nouveaux combattants. Le président, Prix Nobel de la paix 2009, refuse d’envoyer «une nouvelle génération de soldats américains combattre pendant une décennie».
Il a aussi mis en garde contre une rhétorique anti-islam aux Etats-Unis car «l’EI ne parle pas pour les musulmans. […]. C’est une secte prônant la mort.» L’allusion à plusieurs candidats républicains qui ont tenu des propos islamophobes est à peine voilée. Le président a cependant appelé la communauté musulmane à faire aussi son travail, à condamner tout acte de violence et à promouvoir une interprétation de l’islam en accord avec les droits de l’homme et la dignité humaine.
La stratégie des Etats-Unis devra s’adapter, a précisé le président, car celle de l’EI change constamment. Le paradoxe, c’est qu’elle est désormais relativement articulée, mais ne profite en rien au chef de la Maison-Blanche, mais plutôt à un Donald Trump dont la recette pour combattre l’EI relève de slogans populistes et simplistes dépourvus de toute substance. Mais, en période d’insécurité, ceux-ci font mouche.