Certes, l’un de ses arrière-arrière-arrière-grands-pères était Irlandais, plus précisément un protestant d’Irlande. Mais cela suffira-t-il? Alors qu’il posait le pied mardi soir sur sol européen pour la première fois en tant que président des Etats-Unis, Barack Obama a rencontré, mercredi à Londres, presque autant de manifestants qu’il avait vu d’admirateurs lors de sa dernière visite à Berlin, en tant que candidat à la Maison-Blanche. La fonction fait l’homme, et la crise économique mondiale est passée par là. Surtout, le malentendu est frappant. Après le passage du Texan George Bush, l’Europe a voulu voir Barack Obama comme l’un des siens. Or, rarement un président américain aura été par le passé si étranger à l’Europe.

Le magazine The Economist le rappelait récemment: pendant les deux ans où il avait fréquenté l’Université d’Oxford, en Grande-Bretagne, l’ancien président Bill Clinton passait des soirées avec ses amis européens à débattre du modèle éducatif de l’Allemagne. Avant lui, un John Fitzgerald Kennedy pouvait prononcer sans peur du ridicule son célèbre «Ich bin ein Berliner»: il avait étudié à Londres et connaissait sur le bout des doigts l’histoire européenne. Barack Obama, lui, partage son identité entre trois continents différents, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique. Mais l’Europe en est absente, à l’exception de ce lointain ancêtre, découvert au demeurant par les Irlandais eux-mêmes. A la veille de sa visite en Europe, nombreux sont ceux qui ont épluché à nouveau ses deux livres de Mémoires. Pas un mot d’Obama, ou presque, à l’égard de l’Europe, si ce n’est pour rappeler le désarroi qu’avait provoqué chez lui un court passage sur le Vieux Continent où il «ne retrouvait pas (son) histoire».

Faisant le point devant des journalistes, Craig Kennedy, président du German Marshall Fund de Washington, s’interrogeait récemment: «Aura-t-il le même lien émotionnel (avec l’Europe) qu’avaient un Kennedy ou un Clinton? Probablement pas.» Mais cet expert des relations transatlantiques retournait l’argument. «Franchement, ce sera à l’Europe de s’adapter à cette donnée. Ce président a sans doute une vision plus globale que beaucoup de ceux que nous avons eus par le passé. Et il suscitera des conversations très différentes sur certaines questions.»

James Goldgeir, du Council on Foreign Relations, met pour sa part en avant le caractère insoluble de la situation: les problèmes que doit aujourd’hui affronter l’économie mondiale ne se résoudront pas si les Etats-Unis ne prennent pas la tête des opérations, note-il. «Mais les autres pays ne sont pas d’humeur aujourd’hui à faire ce que les Etats-Unis leur demanderont.»

Différends omniprésents

Les Européens devront-ils s’avouer qu’ils s’étaient trompés? Cette semaine, même s’ils tenteront de les mettre autant que possible en sourdine, leurs différends seront omniprésents, aussi bien à propos d’un plan de relance de l’économie mondiale et de la régulation des marchés financiers que des renforts de troupes à envoyer en Afghanistan ou encore des nouvelles relations entre les Etats-Unis et la Russie, qui sont ressenties comme un coup de couteau dans le dos par une partie de l’Europe de l’Est (lire ci-dessous).

Cette perspective délecte la droite américaine, elle qui dépeignait pourtant jusqu’ici Barack Obama comme un «socialiste européen». Envolées, les déclarations d’amour d’un Jack Lang qui, lors de l’élection d’Obama, saluait le «retour de l’Amérique que nous aimons». «Les leaders politiques européens ne veulent pas sacrifier leurs soldats et leur argent pour l’Amérique, écrit le néo-conservateur Abe Greenwald. Elle a beau parler d’un monde multipolaire, l’Union européenne n’est pas prête à y participer. Elle préfère recevoir des soldats et de l’argent de l’Amérique. Et Obama a beau louer le multilatéralisme, il est en train de découvrir qu’agir seul, ce n’est pas faire preuve d’arrogance, mais parfois une nécessité.»

En décrétant ainsi la fin de la lune de miel entre Obama et l’Amérique, les anciens amis de George Bush vont sans doute un peu vite en besogne. Comme le rappelle Craig Kennedy, la popularité de Barack Obama est encore «incroyablement haute» en Europe. Mais le chercheur voit se dessiner une sorte d’effet de miroir. Alors qu’au cours des dernières années de George Bush certains reconnaissaient que son administration faisait les bons choix politiques, les Européens continuaient de ne pas l’aimer. C’est presque l’inverse aujourd’hui: «Nous sommes maintenant arrivés au point où beaucoup de dirigeants européens affirment qu’ils soutiennent très, très fort Barack Obama, mais ils reconnaissent qu’ils n’aiment pas ses décisions politiques.»