A la conférence sur le climat de Paris, peu de thèmes suscitent autant de crispations que le financement. Les pays en développement, principales victimes des changements du climat (alors qu’ils ont peu contribué au problème), estiment que les pays industrialisés ont la responsabilité morale de les aider. Les pays riches se disent en général d’accord avec ce raisonnement; le principe d’une «responsabilité commune mais différenciée» des pays face au réchauffement figure d’ailleurs dans le texte de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Et pourtant: lorsqu’il s’agit d’aligner des chiffres, les dissensions entre Etats apparaissent. Elles auraient même le pouvoir de faire capoter le plan en discussion à la COP21.

Le principal chiffre articulé par les pays riches pour venir en aide aux pays en développement frappés par les changements climatiques est celui de 100 milliards de dollars. Il a été mentionné pour la première fois lors du sommet de Copenhague, en 2009, et correspond à un montant à fournir chaque année à partir de 2020. Selon l’accord, les sommes peuvent provenir de diverses sources, publiques ou privées, et doivent alimenter plusieurs fonds dédiés, dont le Fonds vert pour le climat. Lancé en 2009, ce nouveau fonds a été capitalisé pour la première fois en 2014 à hauteur de 10 milliards de dollars et a annoncé le financement de ses premiers projets quelques jours avant l’ouverture de la COP21.

Outre le Fonds vert, trois autres instruments préexistants vien­nent compléter le dispositif, dont le Fonds d’adaptation, le Fonds mondial pour l’environnement et le Fonds pour les pays les moins avancés. Lundi, lors de la première journée de la COP21, plusieurs pays dont les Etats-Unis, la Suisse et la France ont d’ailleurs promis de verser plus de 240 millions de dollars supplémentaires à ce Fonds pour les pays les moins avancés.

Projets d’adaptation

Où en est-on aujourd’hui de la promesse des 100 milliards d’ici à 2020? Un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié en octobre a estimé qu’en 2014 quelque 62 milliards de dollars en provenance du Nord ont servi à lutter contre le réchauffement dans le Sud. Un chiffre présenté comme encourageant, l’objectif des 100 milliards en 2020 n’apparaissant pas hors de portée.

Mais l’engagement financier des pays du Nord souffre de plusieurs limites aux yeux des associations. «L’OCDE a estimé que seulement 16% des flux correspondaient à des projets d’adaptation, la plus grande partie de l’argent servant à financer des projets de réduction des émissions de CO2. Or les pays pauvres ont besoin de s’adapter aux effets inévitables du réchauffement. Un groupe de pays africains négocie d’ailleurs actuellement que le montant alloué à l’adaptation soit doublé et donc porté à environ 32 milliards de dollars en 2020», explique Tim Gore, de l’ONG britannique Oxfam.

Jürg Staudenmann, représentant de la coalition d’organisations suisses Alliance Sud, souhaite pour sa part que les Etats s’engagent sur leurs fonds propres: «De nombreux pays riches, dont la Suisse, mettent l’accent sur les fonds privés dans la lutte contre le réchauffement. Ces sources sont efficaces pour financer des nouvelles centrales énergétiques ou des infrastructures de transport vertes, mais on ne voit pas pourquoi des acteurs privés investiraient dans des constructions de digues contre la montée des eaux, par exemple.» Jürg Staudenmann redoute aussi que les Etats ne détournent les ressources qu’ils allouent normalement à l’aide au développement pour financer leur engagement climatique.

Des Etats riches militent pour que des pays émergents soient également mis à contribution.

Autre sujet de débat: les montants à fournir après 2020. Doit-on en rester à 100 milliards de dollars? Les besoins risquent pourtant d’aller croissant. C’est pourquoi des Etats, dont la Suisse, militent pour que des pays émergents, pour l’heure non sollicités, soient également mis à contribution. Des pays «en position de le faire» ou «souhaitant le faire», selon les terminologies qui circulent actuellement dans les négociations. La Chine a déjà annoncé en septembre qu’elle allait verser quelque 3 milliards de dollars pour les pays pauvres via son propre Fonds climatique. «Mais il est peu probable que des pays émergents s’engagent sur le financement de manière contraignante dans un accord à Paris. C’est pourquoi nous soutenons l’idée de promesses financières révisables tous les cinq ans, comme ce qui est prévu pour les réductions d’émissions de gaz à effet de serre», indique Tim Gore.

Enfin, dernier point d’achoppement financier entre les pays qui prennent part à la COP21, le mécanisme de «pertes et dommages» qui verrait les pays industrialisés dédommager les pays pauvres frappés par des catastrophes naturelles auxquelles il est impossible de s’adapter. Poussée par le G77, cette idée est rejetée avec tout autant de force par les Etats-Unis et la Suisse, notamment. Le risque est pourtant que les pays du Sud en fassent une position de principe et donc de blocage, alors qu’un grand nombre d’entre eux ont présenté des plans de réduction d’émission de gaz à effet de serre conditionnels: c’est-à-dire qu’ils n’agiront que s’ils estiment avoir reçu le soutien nécessaire.