Syrie
L’aviation américaine a bombardé samedi des positions de l’armée syrienne, qui a déclaré lundi la fin de la trêve. Entre excuses et versions contradictoires, Washington y perd en crédibilité

Les Etats-Unis se sont-ils laissés attirer dans un guet-apens? Washington continuait lundi de se débattre dans les conséquences de son incroyable bavure en Syrie: alors que les pilotes américains pensaient bombarder samedi des positions de l’organisation de l’État islamique, ils auraient ciblé par erreur des unités de l’armée loyale à Bachar el-Assad, tuant entre 60 et 90 soldats syriens selon les sources. Après avoir reconnu leur bévue, les Américains sous-entendent à présent qu’ils ont été induits en erreur, à dessein, par les militaires russes. Alors l’armée a déclaré lundi en fin de journée la fin de la trêve qui a plus ou moins régné sur le pays pendant une semaine, la méfiance entre Russes et Américains, pourtant «co-parrains» du plan qui avait conduit à l’établissement de la trêve, n’a jamais semblé si grande.
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Pour Bachar el-Assad, l’affaire est entendue: il évoquait lundi une «agression flagrante» des Etats-Unis contre son pays. En réalité, les Américains ont agi de manière «délibérée», tant ils font tout ce qu’ils peuvent pour aider l’État islamique, affirmaient à qui mieux mieux les officiels syriens dans le sillage de leur président. Ce week-end, déjà, la Russie avait réuni d’urgence le Conseil de sécurité de l’ONU en sen affichant un credo similaire. Cette action est «à la frontière entre la négligence criminelle et la connivence avec les terroristes de l’État islamique», affirmait officiellement le ministère russe des Affaires étrangères.
Clauses secrètes américano-russes
L’attaque, pour laquelle les avions américains étaient semble-t-il accompagnés d’appareils australiens, danois et britanniques, a eu lieu près de la ville de Deir-Ezzor, où les forces loyales à Bachar el-Assad sont assiégées par les djihadistes de l’État islamique. Washington a très rapidement reconnu son erreur, exprimant ses condoléances au gouvernement syrien et se montrant même prêt à dédommager les familles des victimes. Un comble, pour ceux qui accusent les forces syriennes et russes de raser des quartiers entiers occupés par des civils. «Pour une fois que les Américains s’en prennent vraiment au régime d’Assad, c’est par erreur. Et ils ont le mauvais goût de s’en excuser publiquement», note une source diplomatique occidentale, dont le pays a pris ses distances depuis quelque temps avec la politique suivie par Washington.
Les soupçons à l’égard des Etats-Unis vont plus loin encore. Car si cette tuerie est bien une bavure comme l’assurent les Américains, que faisaient-ils donc à Deir Ezzor, si proches des positions de l’armée syrienne? Même s’il a été dévoilé dans les grandes lignes, l’accord conclu à Genève il y a une dizaine de jours entre l’Américain John Kerry et le Russe Sergueï Lavrov comporte des clauses qui sont restées secrètes. L’une d’elles pourrait concerner une éventuelle coopération entre les avions américains et l’armée syrienne afin de venir à bout de l’État islamique en Syrie. Dans ses déclarations à Genève, John Kerry avait d’ailleurs semblé suggérer l’existence d’un tel accord, avant que le Département d’État américain ne fasse machine arrière le lendemain. En bref: si ces bombes n’ont pas été originellement larguées «contre» l’armée syrienne, cela les rend presque plus embarrassantes encore, puisqu’elles auraient ainsi été destinées à aider un régime syrien dont, officiellement, Washington exige toujours le départ.
«Piégé» par les Russes ?
Alors, attaque délibérée ou bavure? Même si l’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power, n’en a pas fait mention lors de la réunion du Conseil de sécurité, Washington a depuis lors évoqué une autre piste, aussitôt entonnée par la presse américaine. Une demi-heure avant l’attaque, les militaires américains, basés au Qatar, auraient ainsi partagé les détails de l’opération avec leurs partenaires russes, conformément aux règles de «déconfliction» établies en Syrie par les deux puissances. Or, cette annonce n’aurait provoqué aucune mise en garde de la part des Russes. Ce n’est que vingt minutes après le lancement de l’attaque que les militaires russes auraient rappelé les Américains pour évoquer la présence de troupes syriennes.
Washington, ainsi, se serait fait «piéger» par des Russes ravis de cette aubaine. Alors que le cessez-le-feu a pris fin, les Etats-Unis sont en effet décrédibilisés et placés sur la défensive. Si tant est qu’il lui fallait un prétexte, Damas ne devrait pas tarder à s’en prendre à l’opposition soutenue par les Américains, en guise de «représailles» pour la tuerie de samedi et au nom de la lutte menée contre le terrorisme.