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En Belgique, des pistes face à l’islam (entre autres)

Il y a quelques jours, les Assises belges de l’interculturalité remettaient leur rapport sur les liens entre population majoritaire et minorités. Lecture détaillée et réactions

À Bruxelles, ils ont rendu leur rapport à la vice-première ministre Joëlle Milquet ce lundi 8 novembre. Les 20 membres du comité des Assises de l’interculturalité – professeurs d’université, Grand rabbin, président de l’Union des mosquées – ont planché pendant plus d’une année, à la demande du gouvernement, sur les relations entre les communautés en Belgique. La question du voile est la plus visible, mais les experts ont voulu élargir le propos: «La société multiculturelle est aujourd’hui un fait. Pour la faire réussir, il faut toutefois un projet.» Le rapport intégral est disponible ici (PDF).

Trois cent deux rencontres, séminaires, journées d’études, ont été menés dans le pays entre 2009 et 2010. La démarche, qui suit les travaux d’une première commission en 2005, évoque le débat québécois à propos des «accommodements raisonnables» réalisés pour les minorités, que nous avions évoqué dans la «Toile francophone».

Le comité des sages formule huit recommandations principales, parmi lesquelles l’interdiction de «signes conventionnels» – foulard islamique, mais aussi, «par extension», turban ou kippa – à l’école jusqu’aux trois premières années du secondaire, c’est-à-dire environ 15 ans; l’interdiction de tels signes aux agents de la fonction publique «investis d’une fonction d’autorité» (police, armée, etc); un système de quotas temporaires dans les administrations publiques, «permettant le recrutement de personnes issues des minorités»; une redistribution des jours fériés nationaux; ainsi que la «reconnaissance» du passé colonial de la Belgique, notamment dans les manuels scolaires.

Ces propositions ont pour elles un certain pragmatisme, mais l’intérêt du document réside aussi dans la franchise de ses auteurs. A plusieurs reprises, ils disent les divisions qui ont marqué le groupe. Celui-ci se décrit comme «des femmes et des hommes qui, malgré tous les écueils et les différences de points de vue, croient au projet de l’interculturalité. Ils aspirent à une société plus juste, plus solidaire et respectueuse de ses pluralismes, lesquels font les réelles démocraties».

Pour eux, le but est de «trouver le juste équilibre entre, d’une part, ce que chacun et chacune ressent comme une cause qui le/la concerne personnellement et, d’autre part, la nécessité de poser des balises – les plus objectives possibles et par la même occasion justifiables – qui permettent d’éviter que les désaccords ne se multiplient».

Cette oscillation se mesure dans les débats, bien entendu sensibles, sur le domaine scolaire. Le comité écrit d’emblée, en caractères gras, qu’«aucune sensibilité culturelle, religieuse et/ou philosophique ne peut être invoquée pour se dérober à l’obligation scolaire ou pour se soustraire au caractère de mixité (garçons et filles) de notre enseignement».

Mais il y a lieu de se montrer nuancé, ajoutent les experts. Leur explication, à propos des signes religieux à l’école – mais le raisonnement se révèle identique sur d’autres problématiques –, vaut d’être relevée: «Le fait de devoir trancher entre deux positions aussi radicalement opposées ne saurait constituer un élément d’apaisement dans une situation tendue à l’extrême. Il ne s’agit pas seulement d’imposer un point de vue, il s’agit aussi que celui-ci soit jugé acceptable à la fois par une majorité de notre population, dont les groupes les plus exposés à la discrimination et à la stigmatisation. Seul un compromis équilibré peut aussi éviter des cascades de recours en justice dont personne ne peut prévoir l’issue.»

Le raisonnement débouche sur la proposition d’interdiction du foulard avant 15 ans, car, en comparaison avec les majorités sexuelle, pénale ou autres, «la société donne […] de multiples signes de reconnaissance qu’un âge de la maturité est atteint autour de 15 ans».

La discrimination positive à l’emploi dans le secteur public, elle, résulte d’un constat d’échec des précédentes initiatives: «Il ne suffit pas d’inciter les employeurs à ne plus discriminer, l’exemple des «plans de diversité» auxquels à ce jour n’ont souscrit qu’un nombre limité d’entreprises sur base volontaire montre les limites d’une approche basée sur la seule bonne volonté des employeurs.»

À propos des jours fériés, les auteurs font, à leurs yeux, preuve de réalisme: «Pour l’instant, le calendrier civil donne une place prépondérante aux fêtes chrétiennes qui fournissent six jours fériés légaux sur dix. Cette situation crée une inégalité de traitement entre les chrétiens et les personnes qui ont une autre conviction philosophique ou religieuse: celles-ci doivent chaque fois prendre un jour de congé personnel pour leurs propres fêtes, et ce pour autant que leur employeur donne son accord.»

Le rapport préconise ainsi de conserver cinq jours fériés actuels: 1er janvier, 1er mai, 21 juillet (la Fête nationale belge), 11 novembre (armistice de la Première Guerre mondiale) et 25 décembre; auxquels s’ajouteraient deux jours «flottants», libres, «selon [sa] culture ou [sa] religion»; et trois jours non-religieux, calés par exemple sur les journées internationales de la femme (8 mars), contre le racisme (21 mars) et de la diversité culturelle (21 mai).

«Le raidissement autour des questions liées à l’islam saute aux yeux. Il génère en retour un repli des communautés musulmanes sur leurs propres réseaux sociaux et sur leur patrimoine culturel et religieux. Trop souvent, plusieurs populations se font face. Des «minoritaires» souhaitent s’affirmer dans l’espace public qu’ils ont en partage, ce qui alimente la crainte des «majoritaires» d’être déstabilisés dans leurs repères culturels», notent les auteurs.

Évoquant la «légendaire culture belge du compromis», ils ne s’en cachent pas: «Plusieurs membres du Comité de pilotage ont fait violence à leur conviction personnelle. Cela vaut autant pour ceux qui œuvrent pour une inclusion maximale de la diversité que pour ceux qui combattent également pour l’inclusion, mais ne voient pas la diversité comme une condition pour y parvenir».

Revenant sur le contexte de l’après-11 septembre 2001, qui avait motivé la première commission, les experts notent en conclusion: «Le climat général reste difficile, face aux défis de la mondialisation, de la crise économique et du spectre des flux migratoires non contrôlés, la figure du bouc émissaire fait œuvre d’explication commode, et cible le plus souvent les minorités culturelles, ethniques et/ou religieuses. Cela est d’autant plus préoccupant que les choses perdurent, s’aggravent même, et qu’une société qui se laisse ainsi travailler par la peur décline une dangereuse tendance à se replier sur elle-même. Ce qui fait craindre pour son corollaire, qui est l’angoisse identitaire.»

Sur les forums ou les réactions de lecteurs des sites des médias, les réactions au rapport sont contrastées, certains le jugeant trop accommodant avec les minorités.

Le Parti populaire (droite), relate La Libre Belgique, juge ainsi le texte «trop influencé par des «revendications de la communauté musulmane»». Le Mouvement réformateur (MR, centre-droit) y voit une pensée «communautariste».

Dans son éditorial, Le Soir juge que «la Belgique, contrairement à l’Allemagne, la Suisse ou la France, semble préservée d’un climat écœurant où le vivre ensemble paraît menacé par la peur de l’autre, l’hystérie sécuritaire et le racisme banalisé». Le journal estime néanmoins que «les membres des Assises ont fait œuvre utile. Le suivi de leurs travaux, hélas, n’est déjà plus de leur ressort.»

Chaque vendredi, une actualité de la francophonie dans «La Toile francophone», sur www.letemps.ch