Berlin, entre triomphe et désillusions
revue de presse
Jour «J». Il y a exactement vingt ans chutaient les lourdes pierres du mur de Berlin. Célébration médiatique, entre triomphe historique et froides désillusions
Il y a vingt ans tombait le Mur. Dans un fracas historique dont les médias mesurent aujourd’hui le formidable impact.
La Frankfurter Allgemeine parle, lundi dans son éditorial, du «miracle de Berlin». Berthold Kohler y met l’événement en relation avec la récente attribution du Prix Nobel de la paix au président Obama, alors «qu’une solution classique eût été de le donner à Helmut Kohl pour sa participation à l’évanouissement d’une dictature, à la banqueroute d’une idéologie et au processus de réunification de l’Allemagne, dans la paix et dans un esprit de liberté pour le continent». De nos jours, poursuit-il, «des valeurs comme l’égalité et la justice sociale jouent un rôle encore plus important que dans la République de Bonn». Même si «les deux parties de l’Allemagne n’ont pas évolué aussi lentement ni aussi rapidement qu’espéré», conclut-il, «peut-être qu’un jour, le comité du Nobel à Oslo prêtera une oreille à cette histoire grandiose». Dans le même édition, un autre long article, «Quand les puissants ont été submergés par les médias», explique comment «la télévision et la radio ont aussi contribué, avec des millions de gens, à l’implosion de la RDA».
La Süddeutsche Zeitung consacre, elle aussi, plusieurs pages à l’anniversaire. Martin Sabrow, professeur d’histoire à l’Université Humboldt de Berlin, raconte notamment pourquoi Erich Mielke, le dernier ministre de la Sécurité d’Etat (Stasi) de la RDA «n’a pas lâché les chars» sur la foule en soutenant l’idée suivante devant les caciques du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED): «Keine Gewalt» (pas de violence). Passionnant. Et copieux. Dans ce festin médiatique, il faut aussi lire «Das Äh-Äh-Äh-Wunder», qui raconte comment, au matin du 9 novembre 1989, Egon Krenz, le chef du parti communiste, réunit en cellule de crise les membres du Politbüro pour élaborer un projet de loi qui devait faciliter les voyages. Il demanda au porte-parole du gouvernement, Günter Schabowski, de rendre public ce projet le jour même, lors d’une conférence de presse retransmise en direct par la télévision et la radio est-allemandes. Il est aujourd’hui admis que son interprétation de ces nouvelles règles fut le véritable déclencheur de l’ouverture du Mur.
Dans son graphique du jour, «20 Jahre sind nocht nicht genug» sur une double page, le Handelsblatt démontre comment, malgré l’aide fédérale au redéploiement de l’ex-RDA dans une Allemagne unifiée, «ces vingt ans n’ont pas suffi». Et surtout comment les «Kombinat», ces fameux complexes industriels socialistes de la défunte DDR, ont crû, noyés dans le grand capital, ou simplement disparu dans les poubelles de l’Histoire.
Sur le site du Figaro, on peut se livrer au jeu «Vous aussi, cassez le Mur», consistant à le détruire avec sa souris d’ordinateur pour découvrir l’ensemble du dossier du quotidien français. Quant au bilan dressé en filigrane de cet énorme paquet, Etienne Mougeotte estime que «l’Europe postcommuniste n’a pas produit une société idéale où le respect scrupuleux des droits de l’homme voisinerait avec la prospérité économique.» Mais si «l’Europe est encore loin du bonheur […], elle a choisi le bon chemin. Celui de la paix, de l’unité et de l’économie de marché.»
Une forme d’alléluia que tempère le blog de Daniel Vernet, hébergé par Slate, où il écrit: «L’opposition est-allemande ne voulait pas passer à l’Ouest, elle voulait changer le monde où elle vivait!» Mais «elle a été déçue. Comme souvent la révolution a mangé ses enfants.» Un des intellectuels protestataires d’alors, Jens Reich, avait d’ailleurs «dit plus tard que la RDA démocratique n’[avait] existé qu’un bref moment… quand elle a disparu». Quant à L’Humanité, elle renvoie les deux systèmes dos à dos en fustigeant leurs «incapacités congénitales»: celle du bloc communiste «de se réformer de l’intérieur, parce que n’ayant jamais pu faire sa place à cette question de la démocratie comme cœur du développement social et de son efficacité économique»; et celle du libéralisme qui, en vingt ans, devenu «pensée unique, aura fait connaître à la planète trois crises, dont l’actuelle», selon le quotidien communiste français.
Enfin, pêchés sur la Toile, des dossiers ou articles qui valent le coup de clic: l’Exposition Berlin au Mémorial de Caen; les archives de la TSR; la Ville de Berlin, qui offre un beau paquet sur l’histoire du Mur (en français); Die Zeit, qui y consacre une ligne de temps cliquable retraçant les événements depuis l’été 1989; le Spiegel et sa carte interactive pour remonter le cours des événements; une autre frise cliquable sur le site de la chaîne francophone TV5; Arte, la franco-allemande, qui livre un très beau dossier; sur YouTube: un documentaire historique américain de 1962, The Road to the Wall; le site éphémère au bénéfice de Reporters sans frontières FallBerlinWall; et, last but not least, le dossier du New York Times .