Difficile de croiser, à la COP21, quelqu’un qui ne connaît pas l’aventure de Solar Impulse. L’avion à propulsion solaire de Bertrand Piccard, soutenu par des personnalités de premier plan dont l’ancien vice-président américain Al Gore, vaut à l’activiste suisse une renommée internationale au sein de la diplomatie climatique mondiale. Une diplomatie qui, affirme-t-il au «Temps», ne doit surtout pas oublier l’économie.

Le Temps: Quelles sont, selon vous, les conditions de réussite de cette grande conférence climatique COP21?

Bertrand Piccard: Elle réussira si la communauté internationale comprend que le moment est venu d’investir sur les solutions. Il faut cesser de présenter sans cesse la lutte contre le réchauffement climatique comme une litanie de sacrifices qui imposerait toujours plus de contraintes à l’humanité. Au contraire. Les technologies propres, les énergies renouvelables, la capture du carbone sont autant d’horizons prometteurs pour nos économies, synonymes de croissance et d’emplois. Mon expérience, à travers Solar Impulse, est un peu celle d’un «coach». Je veux motiver mes interlocuteurs par l’exemple.

Infographie interactive.  Promesses passées et futures des plus gros émetteurs de CO2

– Et cela va marcher cette fois?

– Je l’espère, mais je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet à l’issue de cette première journée de déclarations des chefs d’Etat ou de gouvernement. Ils continuent, dans leur grande majorité, de dresser le constat du réchauffement! Leurs discours, lundi, étaient un vaste état des lieux, alors que l’on attend d’eux des solutions, et des moyens pour les mettre en œuvre. La COP21 doit être le lieu où ces solutions, qui le plus souvent sont connues, reçoivent l’aval des politiques. Il faut que des feux verts s’allument pour que les entreprises s’engouffrent dans la brèche. Or l’on reste encore aujourd’hui au stade du constat. C’est préoccupant.

– En tête de ces solutions figure bien sûr, pour vous, l’énergie solaire?

– Pas seulement. Il faut réfléchir plus globalement et miser d’abord sur l’efficacité énergétique. Rappelons-nous quand même que la plupart des technologies en vigueur ont plus d’un siècle: le moteur à explosion, l’ampoule incandescente, le chauffage central… Tout cela doit changer. Tout cela peut changer. On ne luttera pas efficacement contre le réchauffement climatique sans remplacer ces vieux systèmes. Cela veut dire de nouvelles usines, de nouveaux marchés, de nouveaux brevets. Plus l’on parle de solutions, plus la lutte contre le réchauffement climatique devient mobilisatrice.

– Solar Impulse, c’est le meilleur des ambassadeurs en la matière, non?

– Lorsque je vois l’accueil fabuleux que nous ont réservé les Chinois, je me dis que oui. Nous avions reçu l’autorisation de survoler la Chine du président Xi Jinping lui-même. Les Chinois raisonnent comme cela. Ils veulent transformer leur économie. Je pense aussi que l’expérience de Solar Impulse peut rassurer des grands pays émergents, comme l’Inde, très inquiète de l’abandon des énergies fossiles alors que le déficit d’électricité jugule son développement. Il faut parler d’investissements rentables plutôt que de coûts élevés. Il faut offrir une part du retour sur investissement aussi bien aux pays riches qu’aux pays pauvres. En Inde, les nouveaux équipements électriques d’ABB, qui permettent de rediriger le flux d’énergie en fonction des heures et des besoins, apportent des réponses très concrètes aux questions posées lundi, à la tribune de la COP21, par le premier ministre Narendra Modi. Demander des sacrifices sans aucun bénéfice immédiat, surtout de la part de pays dont une large partie de la population est toujours enlisée dans la pauvreté, ne fait que susciter des résistances.