La preuve par les actes. La volonté des Etats-Unis de faire acte de candidature pour un siège au Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) constitue un tournant majeur. Washington estime qu’il est temps de ne plus se contenter de fustiger de l’extérieur l’institution onusienne censée défendre les valeurs qu’il dit placer au cœur de sa politique. Il faut agir de l’intérieur en osant se confronter aux difficultés du multilatéralisme.
Cet organe subsidiaire de l’Assemblée générale de l’ONU devrait grandement bénéficier de ce virage à 180 degrés si la candidature américaine devait déboucher sur une élection de fait. Cette annonce faite mardi par la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton et par l’ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU à New York Susan Rice est une très bonne nouvelle pour Genève qui peut espérer un renforcement d’un organisme qui contribue à son rayonnement. C’est aussi une bonne nouvelle pour la Suisse qui s’est beaucoup engagée pour la création du CDH dont l’image à l’ONU à New York s’est fortement altérée ces deux dernières années. Depuis sa création en 2006, le Conseil des droits de l’homme, qui a succédé à la Commission des droits de l’homme à la suite d’une réforme proposée par la Suisse, a régulièrement fait l’objet de vives critiques de la part des Etats occidentaux et en particulier des Etats-Unis. Le Conseil étant dominé numériquement par les pays musulmans et africains, ces derniers tendent à utiliser cette enceinte internationale comme une caisse de résonance de leurs revendications. Comme le lieu où ils expriment ce qu’on leur empêche de faire dans des instances où ils sont minoritaires.
Sous l’emprise du prisme néo-conservateur, l’administration américaine précédente de George W. Bush n’a jamais tenu en haute estime le Conseil des droits de l’homme, un organe qui récompense les «mauvais élèves». Elle lui a préféré le concept de «Ligue des démocraties», un cercle d’Etats vertueux censés montrer aux autres comment on respecte les droits humains. Par la voix de leur ambassadeur Warrren Tichenor, les Etats-Unis, qui n’avaient pourtant qu’un statut d’observateur, ont essayé à plusieurs reprises de torpiller le Conseil des droits de l’homme dans sa phase initiale en exerçant un lobbying de tous les instants par le relais du Canada, de la Pologne ou encore de la République tchèque. Sans qu’on en comprenne la raison, Washington avait même claqué la porte du Conseil le 5 juin 2008, refusant de faire usage de son statut d’observateur. A Genève, ce geste avait été interprété comme une volonté de l’administration Bush finissante d’appliquer une politique de la terre brûlée hypothéquant la politique du nouveau président en matière de droits de l’homme.
Pour Julie de Rivero, directrice du bureau genevois de Human Rights Watch, le retour des Etats-Unis, s’il se confirme par une élection le 15 mai prochain, va bien au-delà d’une simple présence américaine au CDH. «Il montre qu’avec la nouvelle administration de Barack Obama, les Etats-Unis sont près à assumer leur propre histoire, l’héritage des années Bush marquées par la logique sécuritaire qui faisaient fi des violations des droits de l’homme.»
Une fois élus, les Etats-Unis seraient intégrés dans le groupe occidental et européen. Là aussi, la présence américaine dans ce groupe pourrait assouplir l’attitude des Européens, engoncés parfois dans une discipline rigide qui rend difficile le dialogue avec des Etats islamiques ou africains dont les agendas peuvent fondamentalement diverger.
Dans un monde, où le clivage entre l’Occident et le monde musulman reste une question sensible, le CDH, avec ou sans les Etats-Unis, restera un organe imparfait. Mais son imperfection, qu’on peut retrouver dans d’autres organes multilatéraux comme le Conseil de sécurité de l’ONU, ne doit pas nous faire oublier l’essentiel: sans ces enceintes multilatérales, le monde serait encore plus imparfait. Ces dernières avancent souvent selon le principe du plus petit dénominateur commun. Mais au moins elles avancent.