Au placard, les revendications d'un code civil unique, qui abolirait les lois civiles particulières dont bénéficient les différentes religions en Inde, ou l'assurance de la construction d'un temple hindou sur les ruines d'Ayodhya. Le BJP se bat sur un programme commun avec ses alliés de l'Alliance démocratique nationale (NDA), où de nombreux partis sont hostiles à ses idées sur la religion.
L'«hindutva» redéfini
Le thème de la campagne s'appuie donc sur les succès du gouvernement en matière économique; les bannières représentent d'ailleurs un premier ministre sur fond de grandes autoroutes ou un Indien l'oreille collée au portable. Le vice-premier ministre et chef de la diplomatie, Lal Krishna Advani, a conduit une procession de 8500 km sur le thème du développement pour tous. Le concept essentiel d'hindutva (l'hindouité) a même été redéfini pour l'occasion: «Hindutva signifie développement et prospérité», a déclaré le président du BJP aux journalistes déconcertés.
L'objectif est clair: convaincre la minorité musulmane, forte de 140 millions de personnes, que le BJP n'est pas un danger, malgré son attitude pour le moins attentiste et en partie complice dans les massacres de musulmans au Gujarat, qui avaient fait près de 2000 victimes. Les musulmans représentent ainsi presque 20% de la population de l'Uttar Pradesh, l'Etat qui envoie le plus de députés au parlement, et où est toujours élu le premier ministre. Le parti a donc tout fait pour projeter en avant ces membres musulmans, comme son porte-parole ou le ministre du Textile, et pour attirer les leaders musulmans. Non sans succès pour deux anciens membres du Congrès, qui ont choisi de le rejoindre: Arif Mohammad Khan et Najma Heptullah. Et, selon les analystes, si le parti, à défaut de rallier les musulmans, parvient à les rendre non hostiles, il aura déjà bien gagné.
Cette attitude nouvelle du BJP peut-elle convaincre les musulmans? Dans les ruelles étroites et tortueuses du Vieux Delhi, autour de la grande mosquée Jama Masjid, les passants sont sceptiques. La suggestion de voter pour le BJP est balayée du revers de la main, ou d'un ricanement. Toutefois, dans la capitale de l'Uttar Pradesh, Lucknow, où Atal Behari Vajpayee se présente, on souligne volontiers ce que le premier ministre a apporté au pays ou à la ville. «C'est le facteur absolument crucial et nouveau, souligne J. M. Akbar. Les musulmans vont voter pour la première fois en suivant un critère économique et non religieux, car ils bénéficient aussi de l'élévation du niveau de vie de la classe moyenne.»
Un phénomène que le rédacteur d'Asian Age a ressenti en parcourant le Bihar. «Et même si cela ne représente pas un mouvement de masse, c'est une rupture psychologique importante», affirme-t-il. «Depuis 1952, le vote musulman s'est fondé sur le passé – la partition, les émeutes, Ayodhya. C'est la première fois qu'un nombre significatif de musulmans va voter pour le futur», résume-t-il dans un éditorial.
Si la victoire du BJP et de la NDA ne fait guère de doute selon les sondages, la grande énigme reste pourtant le poids des partis régionaux dans cette victoire. Le professeur Balveer Arora met en garde contre une victoire trop grande du BJP: «Si le BJP gagne une majorité assez importante, il pourra garder ses alliés naturels, et se débarrasser des alliés moins sûrs, qui sont aussi les plus «séculiers», explique-t-il. Si le BJP était laissé à lui-même, ou sous la seule influence de ses alliés extrêmes comme le Shiv Sena, les musulmans pourraient être les premiers à en pâtir.