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Sur le boulevard du Karakorum

Il y a 25 ans, l’ouverture d’une route stratégique entre le Pakistan et la Chine

« […] Nous avançons notre montée sur le Karakorum Highway, une création prestigieuse qui fit plusieurs centaines de morts parmi les travailleurs. Ce «boulevard» traverse les deux plus hautes chaînes de montagnes du monde, l’Himalaya et le Karakorum, pour relier le Pakistan à la Chine, le long des anciennes pistes caravanières. Il s’insinue au creux des vallées les plus profondes de la planète, du sommet du Rakaposhi à Hunza: 6000 mètres de dénivellation.

Commencée en 1960, sa construction n’a été achevée par les Chinois qu’en 1982 et s’ouvre maintenant pour la première fois aux voyageurs; 25 000 ouvriers [soldats des armées chinoise et pakistanaise] ont creusé et égalisé la route, ravagée par les éboulements constants; 10 000 camions, 800 tonnes de ciment, 8000 tonnes d’explosifs ont été nécessaires pour rendre les chemins carrossables. Tout – même l’eau – était apporté de Chine, sauf le ciment, fourni par le Pakistan.

Désormais, 24 heures – au lieu de 25 jours jadis – suffisent pour franchir les 680 kilomètres reliant la plaine de l’Indus au col de Khujerad. Un corps spécial de l’armée pakistanaise, 2000 hommes par garnison, déblaye la route après chaque éboulement. […]

Sust, le check-point du bout du monde à la frontière pakistanaise. Il fait froid. Nous sommes dans la haute vallée, large et ventilée. Les abricotiers sont tout juste en fleur et l’on se drape de couvertures, dès le coucher du soleil. Une barrière de bois, deux baraquements et une tente sanitaire pour passer les contrôles. A l’écart, une banque en torchis; le coffre-fort, plus large que l’entrée, reste posé dehors.

Une jeep nous emmène à la frontière chinoise, à cent vingt kilomètres de là, par le col de Khunjerab (4694 mètres). La route remonte les dernières gorges, austères, sans vie. […]

[Elle] zigzague entre les taches d’ombre et de soleil. Eau, air et roche sont les trois seuls éléments de cet univers figé. Puis la vallée s’entrouvre sur de larges plateaux vallonnés couverts de neige soufflée. Derrière nous, les cimes immaculées; devant nous, l’infini des crêtes désolées. Au col, une borne: «China, drive right». (Chine, roulez à droite.) Nous sautons de quatre heures dans le temps pour nous aligner sur l’heure d’été de Pékin, à 5000 kilomètres.

Une piste danse entre les bosses jusqu’au poste chinois. Une baraque de pierre et une barrière dérisoire […]. Assis dans une pièce vide, avec dans un coin, un poêle au tuyau biscornu, on échange avec les militaires une poignée de main. Ils nous offrent du thé et des bonbons. Tant bien que mal, nous discutons à grands renforts de gestes. Mais ici, l’information est loin d’être essentielle, l’important réside dans la chaleur du regard. […] »