Union européenne
Selon l’Union, l’accord signé avec la Turquie – de l’argent contre la sécurisation des frontières – est un succès. Mais des spécialistes n’approuvent pas ce modèle et dénoncent le chantage

La perspective de faire face à de nouveaux flux migratoires angoisse les dirigeants européens. Prenant les devants, ils veulent répliquer l’accord de gestion commune de la crise des réfugiés signé le 18 mars avec la Turquie à d’autres pays. A commencer par la Jordanie et le Liban qui accueillent 2 millions de réfugiés syriens. Puis au Niger, au Nigeria, au Sénégal, au Mali et à l’Ethiopie qui sont aussi de pays traditionnels de départs. Après la fermeture de la route des Balkans, un tournant a été remarqué en avril dernier. Pour la première fois depuis juin 2015, les réfugiés ont été plus nombreux à arriver en Italie plutôt qu’en Grèce, par la Méditerranée.
Grâce à l’accord avec la Turquie, le nombre de réfugiés arrivant sur les îles grecques se compte désormais en dizaines par jour, contre plusieurs milliers à la fin de l’année dernière. «Cet accord, même s’il est fragile, remplit les objectifs à court terme de l’UE, analyse Natalia Banulescu-Bogdan, directrice adjointe de Migration Policy Institute (MPI) à Washington. Il lui a donné un temps de répit nécessaire pour penser au long terme.» La spécialiste affirme que la Jordanie et le Liban subissent une énorme pression par rapport aux infrastructures (logement, écoles, transport) pour l’accueil des réfugiés. Une contribution financière de la part de l’UE serait dès lors bienvenue.
«La Commission européenne compte engager 8 milliards d’euros au cours des cinq prochaines années», a annoncé mercredi Frans Timmermans, vice-président de la Commission. A titre de comparaison, elle a promis 3 milliards jusqu’en 2018 à Ankara pour barrer la route aux réfugiés et éventuellement 3 autres milliards supplémentaires. Mais il a aussi fait comprendre que l’UE allait prendre une série «des mesures incitatives afin de récompenser les pays désireux de coopérer et de veiller à ce qu’il y ait des conséquences pour ceux qui refusent». L’argent sera engagé sur la sécurisation des frontières et la formation du personnel afin d’empêcher les départs.
Lorsque le programme sera élargi aux pays africains, l’UE ajoutera un milliard d’euros supplémentaires au Fonds fiduciaire pour l’Afrique doté déjà de 1,8 milliard. Cet instrument avait été créé en novembre dernier lors du Sommet de la Valette, à Malte, où dirigeants européens et africains avaient promis de faire cause commune pour endiguer les flots migratoires. L’UE n’exclut pas de réorienter ses dépenses pour l’agriculture, l’éducation et le social en faveur de programmes de lutte contre l’émigration.
«La démarche européenne se comprend, poursuit Natalia Banulescu-Bogdan. Le problème toutefois est que l’UE veut imposer aux pays tiers des programmes liés à la migration, ce qui n’est pas nécessairement une priorité pour ces derniers. Fort de sa puissance économique et politique, Bruxelles ne négociera pas sur une base équitable, mais imposera sa volonté.» A ce propos, la vice-directrice du MPI fait savoir qu’à ce jour, pas un centime n’a encore été versé par le Fonds fiduciaire pour l’Afrique
«Nous vous donnons de l’argent et vous gardez les réfugiés; cela ne peut pas constituer un accord respectable, a ironisé Guy Verhofstadt, chef de file des libéraux au Parlement européen. Nous avons plutôt besoin de vrais partenariats avec ces pays.» Pour Yves Pascouau, chargé du dossier migrations à l’European Policy Centre, l’accord EU-Turquie ne peut pas servir de modèle. «Nous n’avons des résultats que sur une courte période, dit-il. Et nous ne sommes pas certains que cet accord soit respectueux des droits humains.» L’expert rappelle aussi qu’on ne pourra jamais empêcher le mouvement des populations lorsque celles-ci fuient la guerre, la répression ou la misère. Enfin Yves Pascouau estime que le principe de conditionner l’aide au développement se défend lorsqu’il s’agit de faire respecter la bonne gouvernance comme le respect de l’Etat de droit. «Mais il est injustifiable sur la question migratoire», dit-il.