Sommet européen
Les chefs d’Etat ou de gouvernement des seize pays membres de la zone euro se retrouvent à partir de 19 heures dans la capitale belge pour un dîner très attendu. Objectif: mettre fin à l’effet de domino déclenché par la spéculation sur la dette grecque
L’ennemi prioritaire ne fait aucun doute. Toutes les déclarations des dirigeants européens attendus ce soir à Bruxelles pour discuter de l’impact de la crise grecque sur l’euro et la gouvernance économique de l’UE vont dans le même sens: l’urgence est de faire barrage aux spéculateurs, accusés de tout faire pour saper le plan de sauvetage financier à la Grèce, et de vouloir maintenant s’attaquer à l’Espagne et au Portugal.
Dans une lettre commune adressée à leurs pairs de la zone euro jeudi, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient donné le ton en exigeant que la Commission européenne accélère la préparation de nouvelles directives destinées à encadrer davantage le secteur financier et à surveiller de façon accrue les très décriées agences de notation.
Le premier ministre espagnol, José Luis Zapatero – dont le pays assume jusqu’à la fin juin la présidence tournante semestrielle de l’Union, et préside notamment le conseil des ministres des Finances – a renchéri vendredi en dénonçant les «rumeurs intolérables» et les spéculations «irresponsables» des marchés sur une possible banqueroute du royaume. L’Espagne et le Portugal sont plombés par une colossale dette privée et ne parviendront pas à sortir de leur grave panne économique actuelle si leurs institutions bancaires ne parviennent plus à se refinancer. Feu vert allemand Sur le papier, l’affaire grecque est théoriquement réglée. Une aide de 110 milliards d’euros a été accordée à Athènes par l’UE et le Fonds monétaire international (FMI) la semaine dernière, en échange d’un plan d’austérité décidé par le gouvernement grec et adopté jeudi par le parlement.
Il s’agit maintenant de débloquer ces fonds, et de faire approuver ce plan par les parlements nationaux. Ce qu’a fait aujourd’hui le parlement allemand en donnant son feu vert tant attendu malgré une opinion publique résolument hostile au prêt de plus de 22 milliards d’euros sur trois ans. Le Bundestag, la chambre basse, a adopté avec une confortable majorité (390 sur 601 présents) la loi qui permettra à la banque publique KfW de débloquer son crédit pour Athènes, suivi, quelques heures plus tard par la chambre haute, le Bundesrat, où siègent les représentants des 16 Etats régionaux.
Le problème est que l’ampleur de l’ouragan gtrec a pris de court les dirigeants européens. La défiance croissante des opérateurs envers l’euro, affaibli face au dollar, et l’inquiétude de nombreuses banques persuadées que la Grèce ne pourra pas tenir ses promesses aboutissent à un redoutable «cocktail molotov» économique susceptible d’embraser la zone euro.
S’y ajoutent le spectre de la récession ou de la stagnation économique que risquent d’entraîner à coup sûr les mesures d’austérité budgétaires imposées par le soutien à la monnaie unique. La chancelière allemande, confrontée dimanche à des élections régionales, a d’ailleurs retardé au maximum son approbation du plan grec afin de bien montrer son refus d’un «chèque en blanc» à Athènes. Ce qui accru l’impression de divergences et d’indécision au sein de l’Eurogroupe, si prisée des spéculateurs. Spéculateurs privés visés Pour l’heure, la zone euro semble vouloir tenir sa ligne de défense qui consiste, comme l’a répété jeudi le gouverneur de la Banque centrale européenne Jean Claude Trichet, à refuser toute possibilité que la Grèce se retrouve «en défaut de paiement». Plutôt que des sanctions contre les Etats qui laissent filer leurs déficits ou trafiquent leurs statistiques, les dirigeants de la zone euro veulent donc s’en prendre aux spéculateurs privés, en les menaçant d’un encadrement communautaire plus sévère et de sanctions nationales.
En France, le président du gendarme boursier (AMF), Jean-Pierre Jouyet, a ainsi promis de «taper sur les doigts de tous ceux qui se sont mal comportés». Avec l’aide de rien de moins que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) pour collecter des indices. «Que ce soit des banques françaises, que ce soit des banques étrangères qui opèrent à Paris, que ce soit des fonds à Paris, à Berlin, à Londres, peu m’importe, a jouté M. Jouyet. Dès que j’aurai, par tous les moyens, des comportements de marché anormaux, il y aura enquête et sanctions.»
D’autres voix s’élèvent toutefois, à Bruxelles, pour que la priorité soit accordée ce soir à la gouvernance économique et aux conditions liées à l’adoption de la monnaie unique. Le ministre slovaque des Finances Jan Pociatek – dont le pays a adopté l’euro au 1er janvier 2009 – a par exemple appelé vendredi à Bratislava à un renforcement de la discipline budgétaire dans la zone euro, incluant l’instauration d’une clause d’exclusion d’un pays ne respectant pas les règles du pacte de stabilité.
«L’Union européenne doit réorganiser les règles du jeu, dans le but d’améliorer la discipline budgétaire», a-t-il déclaré. «Il faut mettre en œuvre des mécanismes qui permettraient l’exclusion d’un membre de la zone euro, ou son départ». Un cas de figure pour l’heure exclu par les traités, et jugé impossible par les experts selon lesquels une sortie de la monnaie unique reviendrait, pour un pays membre pris en défaut par les marchés, à courir à la ruine.