Carla Del Ponte: «Il est temps de saisir la CPI»
syrie
La commission d’enquête de l’ONU remet son rapport sur la Syrie. Elle réclame l’entrée en scène de la justice internationale
«Nous sommes en mesure d’établir les responsabilités de criminels de haut niveau. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un tribunal qui conduise les enquêtes de manière formelle.» Une nouvelle fois, l’ex-procureure suisse Carla Del Ponte n’a pas mâché ses mots en présentant, aux côtés de ses collègues, le travail de la commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie. Et, faute pour l’instant de résultats concrets, elle a formulé ce qui doit retentir comme de réelles menaces aux oreilles de certains responsables syriens: «Nous avons suivi les chaînes de commandement pour mettre en lumière la responsabilité de ceux qui ont décidé, organisé ou planifié» les crimes en cours en Syrie.
Instituée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2011, cette commission n’a pas pu se rendre une seule fois en Syrie. Ses lettres en ce sens n’ont pas même trouvé de réponse de la part des autorités de Damas. Mais les témoignages de réfugiés recueillis à l’étranger ou de familles de victimes ont été suffisants pour que les membres de la commission en tirent un tableau effroyable, où se mêlent meurtres, viols, torture, violences aussi bien sur les adultes que sur les enfants, dévastations de quartiers entiers d’habitations dans plusieurs villes…
Dans la guerre syrienne, la population est aujourd’hui prise pour cible lorsqu’elle fait la queue pour acheter du pain devant les seules boulangeries en état de fonctionner. Des centaines de personnes continuent de disparaître dans les barrages de l’armée, dans la rue ou lors de perquisitions dans leur maison. «Pendant la durée de notre mandat, nous avons répertorié sept massacres, dont cinq commis par les forces qui dépendent du gouvernement et deux par les groupes de l’opposition», a encore détaillé Carla Del Ponte.
Des «massacres», selon la définition «de travail» de la commission, ce sont «des tueries de masse délibérées à l’endroit de civils étrangers aux hostilités». Au fil des 131 pages de son rapport, ce sont les concepts de «crimes de guerre» et de «crimes contre l’humanité» qu’utilise aussi à plusieurs reprises la commission.
Une liste de noms d’individus et d’entités jugés responsables de ces atrocités, aussi bien du côté du gouvernement que des rebelles, devrait être remise à la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navanethem Pillay. Mais d’ores et déjà, pour Carla Del Ponte et pour le président de la commission, Paulo Pinheiro, il est temps d’activer «immédiatement» la Cour pénale internationale (CPI), afin de lancer les inculpations.
«C’est incroyable que le Conseil de sécurité de l’ONU n’ait pris encore aucune décision», a affirmé la magistrate suisse, en référence au seul organe des Nations unies à même d’activer la CPI.
De fait, ce n’est pas faute de l’avoir tenté. A l’initiative de la Suisse, ce même Conseil de sécurité a été saisi au début de l’année d’une pétition signée par 58 Etats qui allait exactement dans le même sens. Quelques jours plus tard, cinq membres du Conseil de sécurité, dont deux «grands» (la France et la Grande-Bretagne), expliquaient à New York qu’ils soutenaient cette initiative, mais qu’elle se heurterait à coup sûr au veto «d’au moins un» membre permanent du Conseil, à savoir sans doute la Russie, alliée du régime syrien.
«La décision a été prise de ne pas aller de l’avant, afin de ne pas provoquer l’affrontement et de ne pas se retrouver à la case départ en cas de veto officiel. Cela se serait révélé contre-productif au final», note une source diplomatique.
A Berne, le Département fédéral des affaires étrangères s’est «félicité» de la recommandation de la commission de l’ONU qui «répond» à l’initiative suisse. En réalité, en prônant aussi «une solution politique» comme seul moyen de mettre fin à la situation actuelle, Carla Del Ponte et ses collègues semblent reconnaître le fait que la perspective d’une saisine de la CPI est encore bien peu vraisemblable. Une idée qui est également partagée à Berne.
Une liste a été établie de noms d’individuset d’entités jugés responsables des atrocités