Sa maisonnette est au bout d’une ruelle, derrière la porte impériale de la Stabilité éternelle (Yongdingmen) au sud de Pékin. A 20 ans, la jeune fille ressemble à n’importe quelle demoiselle de son âge avec des baskets et un t-shirt bariolés. C’est le rayon de soleil de ses parents handicapés, qui, par cette chaleur suffocante, se cloîtrent dans le salon aux murs décatis.

Li Xue est une enfant «surnuméraire», née huit ans après Li Bin, sa sœur aînée. Parce que ses parents n’ont pas pu payer l’amende, le Bureau du contrôle des naissances a refusé qu’on l’enregistre auprès de l’état civil.

Li Xue n’a pas connu l’école, pourtant obligatoire. Elle ne peut s’inscrire à l’université ni même postuler à un emploi, ouvrir un compte en banque, entrer dans un tribunal ou se marier. Voyager en train lui est prohibé car la carte d’identité est réclamée au guichet. Et contrairement à son chien, Li Xue n’est pas vaccinée.

Lancée en 1979 par Deng Xiaoping à l’époque où l’indice de fécondité atteignait 5,4, la loi sur l’enfant unique ne s’applique pas à tout le monde. A la campagne, les parents peuvent avoir deux enfants si le premier est une fille. En ville, les riches la contournent aisément en payant l’amende ou en voyageant à Hongkong, Singapour ou plus loin encore, à l’approche de l’accouchement. Et selon Mao Quan’an, le porte-parole de la Commission de la santé et du planning familial, «le gouvernement délibère actuellement pour savoir s’il assouplira davantage la politique de l’enfant unique». Cet assouplissement viserait à accorder un deuxième enfant pour les couples dont l’un des conjoints est enfant unique.

Même vingt ans plus tard, la maman de Li Xue s’en veut terriblement. «J’avais souvent de la fièvre pendant la grossesse. Comme je pouvais en crever, le médecin s’est toujours opposé à l’avortement.» Ouvrière dans une usine d’Etat, Bai Xiuming est licenciée douze jours après l’accouchement. «J’avais contracté la polio à l’enfance. Voyez comme j’ai du mal à marcher. Et se faire virer d’une entreprise d’Etat n’est pas commun. Ça vous marque au fer rouge. Je n’ai jamais pu retrouver du travail après.» Le châtiment se poursuit avec l’amende colossale des autorités: 5000 yuans. «Soit quatre années de salaire et mon mari ne travaillait pas à cause de sa maladie des nerfs. A l’époque, il n’y avait pas d’indemnité pour des gens comme lui.» Li Hongyu acquiesce en roulant sa cigarette.

Depuis ce veto du Bureau du contrôle des naissances, des générations de fonctionnaires ont fait la sourde oreille. «Je veux bien qu’on punisse les parents mais pourquoi les enfants? Li Xue est innocente. Où sont ses droits?», dit la mère. Un article récent de l’agence de presse étatique China News Service est sans appel: «Un fonctionnaire ne sera jamais puni s’il refuse de donner un certificat à un «résident noir». S’il n’applique pas strictement la politique de l’enfant unique, il le sera.»

Un beau jour pourtant, une ouverture se présente à Li Xue. Le 1er novembre 2010 est lancé le sixième recensement national. Les autorités souhaitent notamment comptabiliser tous les enfants non enregistrés, que les précédents recensements ont ignorés. Treize millions d’enfants surnuméraires sont «amnistiés».

Li Xue n’a rien connu de tout ça. Son père s’en souvient bien: «Comme les recenseurs ne sont pas venus frapper à la porte, je suis allé moi-même déposer notre formulaire au comité de quartier. Ils ont répondu qu’ils ne voulaient pas de problème et que rien n’allait changer. Ils ont déchiré ma feuille. ­Contre un pot-de-vin, aurais-je pu changer la donne?»

Pas sûr. Car le chef du commissariat de quartier – où sont remis les papiers d’identité – ne porte guère Li Xue dans son cœur. En 2008 pendant les Jeux olympiques, il enrage de voir la gamine agiter des banderoles d’indignation au passage de bus de touristes étrangers, tandis que la capitale se drape de ses plus beaux slogans: «Un monde, un rêve», «Jouir ensemble des fruits de la civilisation». Durant les festivités, une patrouille policière nocturne, des caméras rotatives et des voisins rémunérés la surveillent. «L’un d’eux m’a dit plus tard que cette opération avait coûté 150 000 yuans!» dit Li Xue. Un budget inouï pour épier une adolescente de 15 ans.

Aujourd’hui, le gradé se dit prêt à appliquer l’amnistie. Mais pas sans la présentation d’un énième certificat, tout aussi improbable. «Ou alors, c’est 100 000 yuans [15 000 francs]», confie le père, en haussant les épaules. Le montant vertigineux du pot-de-vin policier. Li Xue espère qu’un élan citoyen ou médiatique finira par convaincre une belle âme de l’administration centrale chinoise de se pencher sur son cas. «Petite Xue n’abandonne jamais!» est son nouveau pseudo sur Weibo, le Twitter chinois.

«Je veux bien qu’on punisse les parents mais pourquoi les enfants. [Ma fille] est innocente»