Une semaine plus tard, l’affaire de la chaise d’Ankara, qui a réussi à donner le symbole d’une UE complaisante avec Recep Tayyip Erdogan sur les droits des femmes et à faire passer Charles Michel pour un goujat avide de pouvoir, est loin d’être close à Bruxelles. Elle repose la question du fonctionnement, ou plutôt du dysfonctionnement, de ces deux présidents, tous deux en quête de visibilité.
Le Parlement européen pourrait tenir la semaine prochaine un débat public tant il a eu honte de cet épisode. Les deux protagonistes devaient quant à eux se reparler lundi soir après cinq jours de silence. L’ex-premier ministre belge, qui fait l’objet d’une pétition lancée par des groupes féministes demandant sa démission, a eu beau multiplier les actes de contrition et dire qu’il dort très mal depuis, il n’avait toujours pas pu, lundi midi, le dire en privé à la présidente.
Ursula von der Leyen a été très occupée entre son voyage en Jordanie et un retour en Allemagne pour «voir sa famille», a expliqué un porte-parole. Le tête-à-tête prévu devait donc faire la part belle aux futurs voyages et erreurs à éviter, comme l’a demandé l’équipe de la présidente.
Car si le président turc a pu se délecter de la scène, c’est bien du côté des équipes européennes qu’est venu le «bug». Les services de Charles Michel n’avaient pas pu voir sur place l’entièreté du dispositif et s’étaient contentés de la lecture stricte faite par le pays hôte de l’ordre de préséance européen. Un ordre à l’avantage du Belge en l’occurrence, faisant de Charles Michel le numéro 1 dans la représentation de l’UE à l’extérieur.
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Le service du protocole de la Commission aurait pu freiner le mouvement s’il avait jugé utile de se déplacer. En faisant l’impasse, il n’a pas pu peser sur la scénographie, produisant cette image d’incrédulité de la présidente et un torrent de critiques contre Charles Michel.
«Diva»
La présidente en tirerait-elle avantage? Par son «silence de diva, on peut bien sûr se dire qu’elle en retire un profit politique car c’est mauvais pour Michel et très bon pour elle», dit un observateur.
C’est un secret de polichinelle à Bruxelles: la coopération entre ces deux têtes est loin d’être fluide, entre rendez-vous manqués et relations tendues avec l’équipe rapprochée de la présidente. Le fait que son chef de cabinet et son chef de communication, Bjoern Seibert et Jens Flosdorff, la «bunkerisent» passe en outre très mal. Ces reproches avaient déjà été formulés début 2020 lorsqu’il avait fallu improviser en urgence la réponse de l’UE à la pandémie.
«Leurs relations sont détestables», a résumé ce week-end dans L’Opinion l’eurodéputé français Arnaud Danjean, évoquant une «guéguerre permanente». Même si, sur le fond des politiques, les désaccords seraient moindres.
Les tensions entre ces deux postes sont «normales», observe un diplomate, le Traité européen donnant des prérogatives internationales aux deux; Jean-Claude Juncker avait même déjà posé la question de l’utilité d’un binôme de présidents, en référence à Donald Tusk, jugeant qu’il y avait «un président de trop».
Ces deux-là se sont d’ailleurs aussi «frottés» sur le Brexit ou la migration. Mais il y avait entre eux plus d’affinités et de complicité, alors que les personnalités de Charles Michel et d’Ursula von der Leyen ont pour effet que «les tensions se gomment moins facilement», reprend ce diplomate.
«Charles Michel est ambitieux; le traité lui donne une compétence de représentation internationale et il joue cette carte à fond, plus que d’autres avant lui, pas forcément intéressés par ce rôle», explique Eric Maurice de la Fondation Robert Schuman. Mais la pandémie lui a coupé l’herbe sous le pied. «Difficile d’exister quand les sommets sont en visioconférence», dit-il. Chaque occasion «physique» est donc bonne à prendre.
Mais Ursula von der Leyen, dont l’institution possède aussi des compétences internationales, défend elle une Commission «géopolitique», rendant le conflit de territoire beaucoup plus aiguisé qu’avant et le choc des ego plus visible. Sans oublier que la présidente doit aussi se refaire une santé médiatique alors que le démarrage de la vaccination a été chaotique et que sa réputation, déjà abîmée en Allemagne après son passage à la Défense, en a également pris un sérieux coup.