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Champagne, sexe dans les toilettes d’un restaurant: les juges lillois empoignent le réseau du «Carlton»

Seconde journée d’audience au tribunal correctionnel de Lille dans le procès pour «proxénétisme aggravé» engagé contre Dominique Strauss-Kahn et treize autres prévenus. Et première plongée dans le quotidien des «copines» rameutées par le réseau autour duquel gravitait l’ancien patron du FMI

Dominique Strauss-Kahn. — © AFP Photo
Dominique Strauss-Kahn. — © AFP Photo

Proxénétisme et prostitution: les deux mots clefs du procès du «Carlton» de Lille sont maintenant au cœur des débats, après une première journée d’audience lundi, marquée par la présence des quatorze prévenus, dont l’ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) Dominique Strauss-Kahn. Lequel sera absent cette semaine, puis reviendra témoigner du 10 au 12 février, pour s’expliquer sur ses relations avec les principaux pourvoyeurs de jeunes femmes pour ses soirées «libertines» entre 2008 et 2011.

Hier, à la barre en fin de journée, DSK avait répondu d’une voix ferme ne jamais avoir rencontré deux des principaux «animateurs» de ce réseau de prostitution lillois: Dominique Alderweireld, alias «Dodo la Saumure», propriétaire de maisons closes en Belgique (où elles sont légales) et René Kojfer, ancien responsable de la communication de l’hôtel Carlton de Lille. Les juges, en revanche, ont appris ce mardi matin à mieux les connaître grâce à la première déposition de Jade, l’une des anciennes prostituées qui s’est constituée partie civile, avec le soutien du Mouvement du Nid d’aide aux travailleuses du sexe.

Emouvante, parfois crispée sur son micro et au bord des larmes, l’intéressée, de nationalité belge, une trentaine d’années, porte une perruque rousse. Elle dit aujourd’hui avoir un emploi normal dans son pays «à des centaines de kilomètres de Lille». Ce qu’elle raconte donne en revanche une idée précise de l’univers dans lequel évoluaient la plupart des prévenus, dont certains étaient en relation suivie avec l’ancien ministre français des Finances. «Notre boulot, c’était de répondre au téléphone à Dodo, René ou Sophia (la gérante d’un bar à filles de Tournai, en Belgique) explique-t-elle. Ils étaient les donneurs d’ordre. On se rendait dans des fêtes ou des restaurants. Notre boulot, c’était de boire du champagne, puis…». La voix se casse. Elle réajuste ses lunettes. Un souvenir lui revient en mémoire: dans un restaurant italien de Lambersart, près de Lille, une soirée organisée selon elle par René Kojfer s’est un jour terminée de la pire des façons. «Une jeune fille de 19 ans que je ne connaissais pas était là, saoule. Elle était écroulée dans les toilettes. Je ne sais pas combien de types lui sont passés dessus. J’ai prévenu Béatrice (la compagne de «Dodo», également accusée dans ce procès). Elle m’a répondu qu’à partir du moment où la fille avait été payée, ce n’était plus son problème.»

Le nom de DSK n’est pas mentionné. Ceux de «Dodo» et de René Kojfer le sont en revanche abondamment. Côté pile: «Dodo n’a jamais été violent. Lui et René ne m’ont jamais manqué de respect.» Jade cite sa dernière conversation avec René, qui avait réservé pour elle et ses enfants un hôtel à Lille et lui aurait glissé «Je t’ai quand même fait rencontrer des gens puissants et sympas, non?» Coté face, une organisation efficace, bien calée: «Kojfer organisait les réunions. Dodo nous appelait pour nous demander de venir. On les retrouvait parfois sur place. J’ai même eu une fois un rapport sexuel avec René dans les toilettes, car les chambres de l’appartement où nous étions étaient occupées.»

Son propre avocat convie René Kojfer à venir à la barre. Il sera interrogé ce mardi après-midi, notamment sur la nature de son activité. Relations amicales ou proxénétisme «aggravé»? Pour l’heure, ce dernier dit ne se souvenir de rien. Il flotte dans son veston, un peu hagard, reconnaît juste avoir «organisé un dîner pour une entreprise de travaux publics». La jeune femme détourne d’abord la tête, puis corrobore sur un point ou deux la version de son ancien «donneur d’ordre». Avant de lâcher, questionnée par le procureur: «Mon état d’esprit n’est pas celui de la vengeance. J’essaie de vivre avec, de tourner la page.»