Chaos afghan: «Le directeur de la CIA devrait démissionner»
États-Unis
AbonnéPour le chercheur Michael Rubin, l’Afghanistan représente un échec militaire, mais également «une énorme défaillance du renseignement américain»

«La conquête rapide de l’Afghanistan par les talibans, à la suite de l’ordre du président Joe Biden de retirer les forces américaines, est un désastre stratégique et, quels que soient les efforts de Biden pour rejeter la faute sur d’autres, elle façonnera son héritage.» Michael Rubin, chercheur à l’American Enterprise Institute, un think tank néo-conservateur, ne mâche pas ses mots. Cet ancien fonctionnaire du Pentagone critique aussi vertement le renseignement.
Les services de renseignement américains prédisaient encore la semaine dernière que Kaboul tomberait «dans les 90 jours». Comment ont-ils pu à ce point se tromper? Parleriez-vous d’échec?
Oui. L’Afghanistan représente un échec militaire mais également une énorme défaillance en matière de renseignement. Les analystes en charge de l’Afghanistan ne sont jamais sortis de leur bulle, ils n’ont jamais vraiment compris l’histoire et la culture afghanes. L’ISI [le renseignement pakistanais, ndlr] a par ailleurs manipulé la CIA. Il y a également eu un échec sur le plan du leadership. Les critiques de la CIA parlent souvent de la politisation du renseignement autour de la guerre en Irak, mais la réalité est que la CIA déforme souvent ses informations pour protéger la diplomatie plutôt que de la subvertir. Quel que soit le manque de sincérité des talibans, les dirigeants de la CIA ont refusé de le signaler. Bill Burns, le directeur de la CIA, devrait démissionner.
La CIA a été «aveugle», écrivez-vous sur le site 19FortyFive…
Non seulement la CIA et d’autres agences de renseignement américaines ont largement sous-estimé la vitesse de l’avancée des talibans, mais elles semblent également avoir été aveugles par rapport à l’ampleur des tractations politiques que les talibans ont menées à l’approche du retrait américain, et à leur prépositionnement militaire pour lancer un assaut quasi simultané sur les capitales provinciales. Elles semblent avoir ignoré que des gouverneurs «fantômes» talibans étaient déjà en place, avec leur personnel, pour prendre leurs fonctions dans les provinces. L’assaut des talibans n’est pas la seule offensive qui ait pris la CIA au dépourvu. Il y a un peu moins d’un an, l’Azerbaïdjan – un pays qui, comme le Pakistan, abrite une importante communauté du renseignement américain – a pris les Etats-Unis à contre-pied en lançant une attaque surprise contre le Haut-Karabakh. La CIA n’a jamais expliqué cette défaillance des services.
Comment voyez-vous le rôle actuel du renseignement en Afghanistan?
L’ironie est que l’administration Biden s’est convaincue qu’elle pouvait contenir l’Afghanistan en s’appuyant sur nos renseignements. Mais toute cette débâcle montre à quel point la CIA est médiocre. Elle est devenue une bureaucratie plus soucieuse de ses propres intérêts et des bénéfices pour ses employés que de l’accomplissement de sa mission première.
Que reprochez-vous au président Biden?
Biden s’est entiché de la notion de «guerres éternelles» (forever wars), mais il n’a jamais reconnu qu’il n’y avait aucune différence entre la «guerre éternelle» et les politiques d’endiguement et de dissuasion traditionnelles. Il a placé la politique de Washington au-dessus du leadership. Les sénateurs changent avec le vent, mais les présidents dirigent. Biden montre qu’il reste avant tout un sénateur. Il dit qu’il a été contraint de concrétiser le retrait militaire américain d’Afghanistan en raison des engagements pris par Trump, mais c’est absurde. Car après tout, il a bien annulé la construction de l’oléoduc Keystone XL ou celle du mur frontalier avec le Mexique, et la décision concernant l’Afghanistan était bien plus lourde de conséquences. Le fait que les talibans n’aient pas respecté l’accord lui donnait également une porte de sortie.
Nos derniers articles sur la débâcle afghane:
- Notre suivi en continu
- Le reportage sur place de notre correspondant dans Kaboul où souffle un ouragan de panique: L’inéluctable chute de Kaboul
- Pourquoi cette débâcle si rapide? Une analyse à ce sujet: En Afghanistan, les raisons de l’effondrement de l’armée
A propos du départ brutal des Américains: L’évacuation de l’ambassade américaine à Kaboul ravive le souvenir de la chute de Saigon