En visitant la Suisse, il y a quelques semaines de cela, Lin Yu a été surpris de voir aussi peu de panneaux solaires dans un pays si soucieux de son environnement. «J’y vois deux raisons: le prix de l’électricité est trop bon marché et les subsides de l’État sont trop faibles.» En Chine, dit-il, c’est l’inverse: le territoire et les habitations se couvrent d’équipements pour capter l’énergie solaire. Cela correspond au vœu de la «nouvelle équipe dirigeante». «Dans un futur proche, la Chine va dire au revoir à la vieille énergie du charbon», répète-t-il à la suite du vice-premier ministre Wang Yang.

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Lin Yu est un pionnier. L’an dernier, il fondait la première société de trading électronique d’électricité de Chine, Doyoung. L’idée est simple: mettre en contact les producteurs et les consommateurs d’énergie et ainsi faciliter le commerce entre petites entités grâce aux réseaux «intelligents» (smart grids). Jusqu’il y a peu, deux sociétés d’État se partageaient le nord et le sud du pays pour le transport et la vente d’électricité. Le gouvernement a brisé ces monopoles et veut favoriser le marché. «Nous sommes en train de vivre une révolution, poursuit l’ancien journaliste qui se réfère à Jeremy Rifkin, penseur américain de la troisième révolution industrielle qu’il a rencontré à Pékin. Le pouvoir encourage des réseaux plus petits, plus proche des clients. Résultat: les prix baissent.»

Priorité au local

Le chemin vers une Chine verte sera long: en 2014, près de 70% de l’électricité était encore produite à partir de charbon, 20% provenaient de centrales hydroélectriques, 2% du nucléaire, les énergies renouvelables ne représentant que 3% de ce mixte. Mais en 2015, la capacité du solaire a plus que doublé pour atteindre 30 gigawatts. Jusqu’ici, la stratégie était de développer de très grandes surfaces de panneaux dans l’ouest et le nord désertique du pays. Le transport de cette électricité vers l’est industriel coûte 20 milliards de watt. Un gaspillage auquel Pékin veut mettre fin. Aujourd’hui, la priorité est à la production locale, à flanc de colline ou sur les immeubles. Doyoung loue par exemple cinq millions de m² de surface de toits dans diverses provinces du sud et du centre du pays pour produire du solaire. Ce n’est qu’un début.

Plus gros pollueur de la planète en chiffre absolu, la Chine s’est engagée à inverser la courbe de ses gaz à effet de serre d’ici 2030. En 2013, la deuxième économie mondiale a relâché dans l’atmosphère entre neuf et dix milliards de tonnes de dioxyde de carbone, deux fois plus que les Etats-Unis et deux fois et demie plus que l’Union européenne. La même année, le géant asiatique consommait (un chiffre récemment revu à la hausse de 17%) 4,2 milliards de tonnes de charbon. Le pic est évalué à entre 11 et 20 milliards de tonnes par an.

Levier de la réforme

Il se pourrait toutefois que les choses aillent plus vite. «Le pic des émissions pourrait intervenir bien plus tôt qu’anticipé», estime par exemple Li Shuo de l’ONG Greenpeace. Deux raisons à cela: le ralentissement de l’économie et le virage des énergies renouvelables.

Le ralentissement économique était anticipé: après trente ans d’une croissance du PIB proche de 10%, la nouvelle «normalité» comme on dit à Pékin est désormais inférieure à 7%. Pour atteindre l’objectif de 2030, le professeur Teng Fei de l’Université de Qinghua, à Pékin, a calculé que la moyenne de la croissance économique ces quinze prochaines années devrait se situer entre 4 et 5%.

Voilà une quinzaine d’années que le débat sur le modèle de croissance divise le pouvoir chinois. Jusqu’à récemment, la direction du parti avait privilégié l’approche quantitative au nom de l’amélioration du niveau de vie. Le décollage économique et la catastrophe environnementale qui l’a accompagné obligent à présent ce même pouvoir à reformuler sa stratégie du développement. La lutte contre le réchauffement climatique devient dans le même temps un levier pour le camp réformateur qui veut libéraliser l’économie.

Modèle allemand

Depuis les années 1980, 25 lois sur la protection de l’environnement et les énergies ont vu le jour. Mais le tournant n’a été réellement pris qu’en juin 2014, lorsque le secrétaire général du parti, Xi Jinping, a appelé à une «révolution de la production et de la consommation d’énergie». La part du charbon et des hydrocarbures doit diminuer, le nucléaire reste une option mais non prioritaire. La promotion des cadres locaux, explique Lin Yu, tient désormais compte de leur soutien aux énergies renouvelables qui bénéficient par ailleurs de subside (0,01 franc par watt). Du coup, ils se battent pour favoriser l’implantation de panneaux solaires ou d’éoliennes. L’an dernier, la Chine a investi près de 90 milliards de francs dans ce secteur.

«Notre modèle, c’est l’Allemagne, poursuit le patron de Doyoung qui est par ailleurs vice-président d’un institut de recherche sur les énergies renouvelables. Durant dix à quinze ans, on n’y croyait pas. Puis on a vu que l’Allemagne était sérieuse. Alors on s’y est mis à notre tour.» Le secteur énergétique, en Chine, ce sont d’énormes entreprises d’État et des milliers de petites mines de charbon plus ou moins légales. Plus de dix millions de personnes travaillent dans le charbon qui a ses rois et ses baronnies. Ces puissants groupes d’intérêt sont un frein au changement.

Pas comme aux Etats-Unis

Mais, c’est la force de l’État-parti, Pékin a aussi les moyens de dicter ses choix économiques. La campagne anti-corruption en cours – qui masque une purge politique – a particulièrement visé le secteur énergétique. Ce qui explique sans doute, l’évolution des grands groupes publiques qui se montrent de plus en plus positif à l’égard des énergies renouvelables. «Ce n’est pas comme aux Etats-Unis où l’énergie est aux mains du privé, ajoute Lin Yu. Là-bas, la résistance est plus grande.»

Le marché international des énergies renouvelables est une autre raison pour la Chine de miser sur cette transition. Après la faillite de Suntech – le premier géant du photovoltaïque qui détenait un temps 80% du marché en Allemagne- d’autres entreprises privées chinoises ont pris le relais comme GCL (Xiexin) ou CSIQ(Ahtesi). «Nous aurions un intérêt à coopérer avec des entreprises suisses», ajoute Lin Yu qui ne doute pas de l’essor du solaire, du marché et de la Chine.