Le titre est joliment choisi. En exergue de son dernier rapport annuel Cyclope sur les matières premières, l’économiste français Philippe Chalmin parle de «La renaissance du palais d’été». Une référence historique qui fait mouche: en octobre 1860, le saccage du palais d’été à Pékin par un corps expéditionnaire franco-britannique marqua le début de l’assujettissement de la Chine aux grandes puissances européennes d’alors, via l’imposition des fameux «traités inégaux» de commerce. L’empire du milieu avait cédé sous les coups de boutoirs des empires coloniaux modernes. L’Europe était au faîte de sa puissance. C’était il y a cent cinquante ans…
Le contenu de l’édition 2010 de Cyclope est tout aussi éloquent que son titre. A trois mois de la tenue à Bruxelles, du 2 au 5 octobre, du sommet de l’Asem (Asia-Europe meeting) qui réunit les vingt-sept pays de l’UE et seize pays d’extrême-orient, la Chine impose sans partage ou presque sa férule sur le commerce mondial des matières premières, socle de la mondialisation. «Tout passe par elle ou presque, elle est incontournable» expliquait récemment à Bruxelles Philippe Chalmin qui, à l’inverse, ne cache pas son extrême pessimisme sur la crise économique européenne actuelle et ses conséquences pour la vigueur future du continent dans les échanges internationaux.
«En fait, écrit-il en introduction de son rapport bouclé en mars dernier, au beau milieu de la crise grecque, la crise en Europe n’est pas seulement la plus prononcée. Elle est aussi la plus cruelle en ceci qu’elle révèle toutes les déficiences du projet communautaire, et toutes les faiblesses liées à sa vacuité politique». Fermez le ban. L’avis de l’expert en commerce international est sans appel.
Comment, dès lors, préparer l’avenir des relations entre les deux continents? Plusieurs forums s’en chargent, sur le plan des échanges. L’un – auquel j’ai aimablement été convié – est organisé par la fondation de droit suisse Charles-Léopold Mayer et se tiendra à Chengdu et Hongkong du 9 au 12 juillet. Ce troisième forum Chine-Europe a pour but de faciliter les interactions entre universitaires, journalistes, et hauts fonctionnaires autour de thèmes tels que le développement durable, la transformation des styles de vie ou la gouvernance locale. La Commission européenne y apporte son soutien financier. Des personnalités telles que l’ancien premier ministre français Michel Rocard ont accepté de parrainer l’opération. Le chef de la délégation de la Commission à Pékin Serge Abou y participera. L’idée est de créer un pont. Ce qui, au vu du fossé grandissant, pourrait bien à l’avenir s’avérer périlleux.
Car le fossé s’élargit bel et bien. Il suffit, outre de lire Cyclope, de suivre les protestations récentes émises par la chambre de commerce européenne en Chine sur les multiples entraves à une bonne confiance commerciale mutuelle. «Contrefaçons flagrantes, fiscalité rétroactive, tracasseries administratives, marchés publics truqués…» la liste des griefs énoncés dans son dernier rapport, peu de temps après une enquête similaire de la Chambre de commerce américaine, fait froid dans le dos vu de Bruxelles, où la concurrence fait désormais partie du patrimoine génétique de l’UE. Les sociétés suisses, affiliées pour certaines à la chambre de commerce européenne ont d’ailleurs fait part d’inquiétudes similaires à Micheline Calmy-Rey lors de ses trois jours de visite en Chine fin juin.
Résultat: un avertissement en bonne et due forme – mais quel poids a-t-il? – a même été entendu lors de la présentation du rapport européen à Pékin. «Les autorités chinoises ne devraient pas prendre pour définitivement acquise la présence des entreprises européennes dans le pays» ont prévenu les interlocuteurs européens, citant trois chiffres qui en disent long: 64% des sociétés européennes interrogées affirment que la Chine est maintenant l’un de leurs trois pays prioritaires; 78% croient à la croissance du marché local… mais 34% seulement des entrepreneurs installés dans le pays croient que leur profitabilité va s’améliorer dans les années à venir.