L'heure est aux règlements de comptes dans le monde frénétique et fort en gueule des journaux parisiens. Depuis l'arrestation fin mars de Marc Francelet, le sulfureux roi des relations publiques, les langues se délient et des propos peu amènes s'échangent entre les rédactions touchées par l'affaire. Il est question d'articles «tordus» ou complaisants, de voyages payés et d'honoraires occultes versés à Genève, où Marc Francelet comptait de nombreux amis.

La déchéance de cet intime des stars, très lié à Johnny Hallyday, commence par un délit d'une affligeante banalité. De 2001 à 2004, Marc Francelet a perçu plus de 250000 francs suisses de l'assurance chômage en France. Dans le même temps, son compte «Dimi» ouvert à la banque HSBC de Genève voyait transiter plusieurs millions de francs. La justice française l'accuse d'escroquerie. «Manifestement, commente une source suisse, il avait des revenus qui ne cadraient pas avec sa situation de chômeur.»

D'où vient cet argent? A l'époque où Saddam Hussein était encore au pouvoir, Marc Francelet a bénéficié d'une allocation de pétrole irakien. Son compte à la HSBC a été crédité de 300000 dollars provenant d'Amman, en Jordanie, la plateforme financière du régime de Bagdad. L'un des associés de Marc Francelet dans cette opération était l'homme d'affaires français Michel Coencas, ancien président du Servette FC.

Mais le pétrole n'explique pas tout. Après avoir commencé sa carrière comme photographe pour Paris-Match, Marc Francelet est devenu un lobbyiste multiusages, qui affectionnait particulièrement le milieu du spectacle. «Il était très attachant, il avait toujours des histoires à raconter», se souvient Yves Bouvier, qui dirige à Genève l'entreprise de transport d'œuvres d'art Natural Le Coultre.

En 2004, Yves Bouvier lance une foire d'art contemporain à Moscou. Un article dans un grand journal serait le bienvenu pour faire connaître le projet. Marc Francelet se propose: il est aussitôt invité en Russie avec un journaliste du magazine Le Point. L'article qui sort peu après est un portrait consacré à l'un des partenaires de la foire, le sculpteur Zourab Tsereteli, auteur de statues colossales en bronze. Yves Bouvier assure que Marc Francelet n'a pas été rétribué: «J'ai payé entièrement le voyage, mais aucun honoraire. De toute façon, j'avais déjà avancé de l'argent à Marc Francelet, il aurait difficilement pu m'en redemander.»

Nous sommes là au cœur du problème: l'étonnante capacité de Marc Francelet à susciter des articles dans les titres les plus importants. Pour un sujet du Point sur un homme d'affaire libanais recherché par la justice française, il a reçu près de 150000 euros. Cette commission, comme le voyage du journaliste, ont été payés par le Libanais. Le résultat a été, selon Marc Francelet, un article «équilibré» mais «favorable».

Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point, reconnaît que ce voyage payé est «un dysfonctionnement dans le journal»: «Normalement, ça ne se passe pas comme ça.» Mais l'article n'avait selon lui rien de complaisant, et Marc Francelet était une source de premier ordre: «C'est quelqu'un qui apportait souvent des infos, il était très bien informé.»

Voilà sans doute pourquoi Marc Francelet avait ses entrées au Point, mais aussi à L'Express, au Monde, au Parisien, au Nouvel Observateur, à Paris-Match ou à Choc, un magazine dont il est salarié. Un peu partout, il a placé des sujets, entretenu des relations, proposé des scoops parfois frelatés. Personne ne lui en tenait rigueur: «Quand il parlait de ses amis vedettes, tout le monde avait des étoiles dans les yeux», se souvient un journaliste qui connaît bien l'affaire.

Mercredi, Marc Francelet a été libéré après deux mois de détention préventive. «Je ne fais pas payer les articles, mais je présente des gens, a-t-il expliqué au Temps. Je ne fais pas d'articles de complaisance, je fais sortir des histoires, dans les domaines de l'industrie ou du show-biz.»

En exagérant un peu, Marc Francelet se targue d'avoir écarté les fausses accusations de viol visant son ami Johnny Hallyday, grâce à un article du Point qui critiquait le procureur chargé du dossier. «J'ai évité à Johnny d'aller en prison, mais il ne m'a jamais donné un sou», précise-t-il.

Le chanteur lui a tout de même rendu un fier service: «Breitling organisait une fête à Courchevel mais n'avait pas de vedettes. Ils m'ont demandé si Johnny et Laeticia (ndlr: sa femme) pourraient se déplacer. Ils étaient à Los Angeles, je les ai fait revenir. Qui me paie? Breitling.» Marc Francelet affirme qu'il touche généralement «150000 à 200000 euros par prestation».

Pour finir, le flamboyant lobbyiste a eu les yeux plus gros que le ventre. Le 22 mars, il a inspiré à L'Express un article qui prétendait révéler l'existence d'un système de corruption au sein de l'entreprise aéronautique EADS. L'information était fausse, et l'actionnaire principal du groupe, Arnaud Lagardère, a évoqué une «tentative de déstabilisation». Une semaine plus tard, Marc Francelet était arrêté.

Depuis, le malaise grandit dans la presse parisienne. Des relevés d'écoutes téléphoniques montrant Marc Francelet en grande conversation avec des journalistes circulent de mains en mains. «Il a beaucoup parlé, ça procure des soucis», relève un observateur. Une partie des écoutes ont été publiées sur le site internet bakchich.info. Pour son animateur, Xavier Monnier, le «système Francelet» est synonyme de «décadence et de dépravation du journalisme». Reste à savoir s'il s'agit d'un cas isolé, ou si d'autres intermédiaires du même type continuent d'influencer les médias français.