Au CICR, le directeur Robert Mardini craint une crise financière d’une ampleur inédite
Aide humanitaire
AbonnéLe CICR a annoncé mardi qu’il pourrait lui manquer jusqu’à un quart du budget qu’il prévoit pour 2023. En 160 ans, c’est une première. Le directeur général Robert Mardini tire l’alarme sur l’impact pour les victimes

Familier des crises de toutes sortes, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’apprête à en affronter une de taille: pour la première fois en 160 ans d’histoire, aucune de ses dix opérations humanitaires majeures – Ukraine, Nigeria, Afghanistan, Syrie, Yémen, Soudan du Sud, Somalie, Irak, République démocratique du Congo et Ethiopie – n’est suffisamment financée. Cela signifie qu’en l’état, il pourrait manquer 500 à 700 millions au budget de 2,79 milliards que le CICR prévoit d’ici à fin 2023. «Si cela se confirme, nous n’aurons plus les moyens d’aider les populations dans les lieux les plus difficiles d’accès, où notre présence est la plus importante», s’alarme auprès du Temps le directeur général du CICR, Robert Mardini.
Guerres sans fin
La crise qui couve résulte d’une simple et impitoyable équation: alors que les besoins augmentent, l’envie et la capacité des donateurs d’y répondre diminuent. «Cette tendance a débuté lors de la crise sanitaire et économique du coronavirus», affirme Robert Mardini. Elle a épargné l’Ukraine, pays dans lequel les opérations du CICR ont même été surfinancées l’an dernier, «mais l’excédent a déjà été absorbé. Et les autres pays sont hélas loin derrière», affirme le directeur général. Il explique cette différence par l’intérêt plus important envers «une guerre qui se déroule en Europe», mais aussi en raison de ce qu’il appelle «l’effet de la nouveauté». Les donateurs ont plus de mal à continuer de soutenir des opérations là où la guerre fait rage depuis longtemps, soit dans un nombre croissant de pays. «On voit ces dernières années, et c’est très inquiétant, que le nombre de conflits augmente et que leur durée se prolonge sans qu’aucune résolution politique soit en vue», relève Robert Mardini. Il y a le Yémen: ce pays, dans lequel 21 millions de personnes ont aujourd’hui besoin d’aide, est en guerre depuis quasi neuf ans. La Syrie en est affectée depuis douze ans, sans compter les séismes dévastateurs. Quant à la Somalie, où le CICR est présent depuis le début, elle subit des violences depuis plusieurs décennies et fait face à une crise alimentaire aiguë.
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Inflation meurtrière
Outre qu’ils peinent à attirer l’attention internationale, les très longs conflits décuplent l’effet néfaste d’autres phénomènes. La criminalité liée augmente dans ces contextes, tout comme les catastrophes climatiques, d’autant plus meurtrières dans des zones appauvries et privées d’infrastructures comme on l’a vu récemment avec le séisme qui a touché la Syrie. Une complexité qui a poussé le CICR à pratiquement doubler son budget en dix ans, une augmentation tournée pour l’essentiel vers les opérations de terrain. Alors que l’enveloppe de fonctionnement était de 1,23 milliard en 2013, elle s’élève ainsi à 2,79 milliards en 2023 – un an plus tôt, c’était 2,4 milliards.
Les besoins augmentent. La somme qu’il faut réunir pour y répondre, aussi. «La situation économique mondiale et l’inflation compliquent tout. Non seulement les personnes que nous aidons doivent se résoudre à des choix impossibles – manger ou se soigner? –, mais encore nos opérations ne peuvent plus être réalisées à la même hauteur en raison de l’augmentation des coûts du carburant par exemple», déplore le directeur général du CICR. Le prix des colis de nourriture et de l’énergie a crû de 40%, celui des biens médicaux de 11%, selon les chiffres de l’organisation. Et dans les pays mêmes, le coût des produits de base a explosé: 159% d’augmentation au Soudan, 156% au Liban, 102% au Soudan du Sud, 53% en Birmanie, 31% en Ukraine, 26% au Mali, 23% au Nigeria…
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Une délicate quête de fonds
Pour le CICR, les semaines qui viennent seront critiques. D’ici un mois, deux maximum, il s’agit de trouver les millions manquants, sans quoi des opérations devront être redimensionnées. Parle-t-on d’éventuels licenciements? Robert Mardini se refuse à commenter pour l’instant. «Il faut procéder par étapes. La priorité maintenant, c’est de mobiliser les donateurs pour qu’ils fournissent un effort supplémentaire». Depuis trois ans, le CICR s’est lancé dans une nouvelle stratégie afin de diversifier les ressources et d’augmenter le nombre d’Etats et de privés qui font des donations. Des efforts en direction notamment des comités nationaux de la Croix-Rouge mais aussi des pays du Golfe, alors que les Emirats arabes unis font maintenant partie de son groupe de donateurs.
Chercher l’argent manquant est une tâche d’autant plus délicate que «la quantité de nos interventions ne doit pas péjorer leur qualité. Nous ne pouvons pas transiger sur les principes qui représentent l’essence même de notre identité: neutralité, impartialité et indépendance», relève le directeur général. Il s’agit aussi de maintenir un équilibre durable entre le financement des opérations moins visibles et celles qui sont sous le feu des projecteurs, représentant 40% du budget: «Le CICR a besoin que 40% de son budget soit flexible afin de garder sa capacité à répondre sans discrimination de lieu.» Une mission qui s’annonce particulièrement ardue en ce début d’année 2023.
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